Secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault considère que la loi sur le service minimum est une provocation. La CGT a programmé une journée d’action pour le 31 juillet. Liberation, 17/7/07
Le Sénat a commencé hier à débattre de la loi sur le service minimum dans les transports. Ce texte remet-il en cause le droit de grève?
Manifestement, toutes les démarches faites par les organisations syndicales pour essayer de convaincre le président de la République et le gouvernement n’ont servi à rien : nos mises en garde sur l’inutilité voire la dangerosité du texte n’ont pas été entendues. Et je trouve scandaleux le compte rendu qui vient d’être fait par la commission parlementaire réunissant députés et sénateurs, qui ne rend pas fidèlement compte des prises de position des syndicats. Ce projet de loi est un bel exemple d’hypocrisie politique. Première hypocrisie : on laisse entendre aux usagers des transports que la grève est le premier fléau qui les affecte. Or, 90 % des perturbations dans les transports n’ont rien à voir avec la grève : elles sont le plus souvent liées à des incidents techniques. Deuxième hypocrisie : on laisse croire aux usagers qu’ils peuvent bénéficier d’un service garanti. Si on leur dit qu’ils auront quelque chose et qu’ils ne l’ont pas, cela générera chez eux rancœur et colère. Ces citoyens auront le sentiment d’avoir été trompés.
Dans le même temps, il y a dans ce texte des atteintes au droit constitutionnel de grève. On veut imposer une hiérarchie entre les droits constitutionnels, comme si le droit de grève devenait un droit mineur, opposé à d’autres droits «supérieurs», comme la liberté d’entreprendre ou la liberté de circulation. Il y a aussi la déclaration préalable, qui veut obliger les salariés à déclarer quarante-huit heures à l’avance ce qu’ils comptent faire. Les parlementaires vont trouver le moyen de multiplier les jours où les transports seront réduits simplement sur la base des déclarations d’intention. C’est absurde.
Vous jugez que cette déclaration préalable est d’abord une atteinte au droit de grève.
Bien sûr. En 2003, la Cour de cassation, à propos d’un conflit à Air France, avait considéré que la déclaration préalable était une atteinte au droit individuel de faire grève. C’est comme si on demandait aux électeurs de s’engager à voter pour quelqu’un deux jours avant une élection ! Le sujet est suffisamment grave pour que nous lancions, le 31 juillet, une journée d’action contre cette loi sur le service minimum dans les transports, susceptible de s’étendre maintenant à d’autres secteurs.
Et le vote au bout de huit jours?
Encore une hypocrisie ! L’article de loi précise que le vote n’aura aucun impact sur le déroulement de la grève, parce que le droit protège, heureusement, les minorités. On veut surtout cultiver les conflits entre les personnels d’une part et avec les salariés d’autre part.
Quelle est votre réaction à propos du non-paiement des jours de grève?
Là, on est dans la provocation pure et simple. Nous avons demandé aux parlementaires que les employeurs soient obligés de payer un rappel pour les jours de grève de ces dernières années. S’il faut aujourd’hui une loi pour que les jours de grève ne soient pas payés, c’est qu’ils auraient dû l’être jusqu’à présent, ce qui n’a jamais été le cas.
Cette loi n’est-elle pas une façon de désamorcer un éventuel conflit sur les régimes spéciaux de retraite?
On peut en effet y voir un principe de précaution, une façon d’anticiper sur les mécontentements qui pourraient naître des mesures gouvernementales. Pour ce qui nous concerne, à la CGT, nous allons lancer en septembre une grande campagne nationale d’explication sur la situation des retraites dans notre pays.
Le débat sur les mesures fiscales et les heures supplémentaires s’est achevé à l’Assemblée nationale. Qu’en a retenu la CGT?
Notre opinion initiale se confirme : il y aura bien des déçus lors de la mise en œuvre concrète des dispositions adoptées par l’Assemblée. La première va concerner tous ceux qui ont cru à l’engagement de Nicolas Sarkozy sur le volontariat. Comme c’était prévisible les heures supplémentaires restent à la discrétion des employeurs et en aucun cas à la demande spontanée des salariés. La deuxième désillusion portera sur les gains financiers. Ces dispositions vont d’abord et avant tout profiter aux entreprises, qui vont engranger de nouveaux allégements de cotisations. Autre élément d’analyse : l’effet pervers sur l’emploi. Il y a un risque évident de voir un certain nombre d’employeurs recourir aux heures supplémentaires plutôt que de privilégier le recrutement de salariés aujourd’hui exclus de l’emploi. Quant au reste du paquet dit fiscal, c’est tout un symbole que ce soit la semaine où l’on marque le 14 Juillet que de vrais privilèges soient rétablis en faveur d’une toute petite partie de la population française qui n’a pas de problèmes de fins de mois.
La rentrée sociale promet donc d’être mouvementée?
Nous n’avons pas de rendez-vous particulier à fixer. Nous sortons d’une séquence de débats liée aux échéances électorales. La plupart des salariés aspirent à prendre leur congé, et à la rentrée chacun va regarder quelles sont les dispositions qui ont pu être prises dans tel ou tel domaine : quelle est la réalité de son pouvoir d’achat, quels sont les projets qui ont pu avancer ou les réformes proposées, quelles sont les analyses que les organisations syndicales donnent de ce qui s’est fait, de ce qui se prépare et de ce qui est en jeu. Le climat social sera fonction de tout ça. Une certitude : à la rentrée, les questions sociales seront aussi prédominantes qu’elles l’ont été pendant la période de débat électoral. Au second tour des législatives, nous avons déjà eu une certaine inflexion de l’opinion en rapport avec les annonces de non-augmentation du Smic, de la TVA qui n’a de sociale que le nom, ou de ce que l’on connaissait sur les heures supplémentaires et le paquet fiscal. Si le gouvernement continue d’ignorer l’opinion des syndicats, il ne pourra pas s’étonner que l’ambiance devienne plus tendue. Il n’y a pas besoin de préavis formel pour cela./.