Suite à la crise du crédit immobilier américain et de son extension aux bourses mondiales l'ancien ministre socialiste des Finances analyse et propose. Il épingle le manque de clairvoyance et de transparence de l'organisation financière actuelle. Entretien pour Libération et communiqué du 15 août 07 - le site de Laurent Fabius
Qui sont ces « prétendus spécialistes » que vous fustigez ?
Pour moi, il y a eu un défaut de prévoyance
considérable de la part des prêteurs américains, puis des banques - en
particulier des fonds et des hedge funds - ensuite des autorités de
régulation et des agences de notation. Car, ce qui me frappe d’abord,
c’est que cette crise était prévisible. Quand on a une masse de crédits
distribués sans aucune garantie et qu’en même temps l’économie se
contracte, il finit forcément par y avoir un retournement. Quand ces
créances ont été titrisées, il était aisé de prévoir le risque. Autre
chose qui me frappe : la contagion. Le système est si imbriqué que,
très vite, on arrive à une crise. Et l’aspect psychologique joue à
plein puisque, à partir d’une affaire localisée, faute de transparence,
on aboutit à une crise planétaire ! Le marché a vite compris que tout
cela était opaque.
Les banques centrales ont-elles eu raison d’injecter massivement des liquidités ?
Bien sûr. A partir du moment où le système
interbancaire était bloqué puisque les banques refusaient de se prêter
de l’argent, il fallait éviter la thrombose. Mais ces injections
révélaient aussi que la crise était plus importante que prévu.
Rajoutant à l’effet psychologique et à la spirale de crise. Je dirais
donc que la situation actuelle est le résultat d’un manque de
clairvoyance, d’un défaut de transparence et d’un effet contagion qui
rend le système très fragile.
Avez-vous le sentiment qu’il y a un pilote à la tête de la finance mondiale ?
Il ne peut pas y avoir un pilote ; il faut qu’il y ait
des pilotes. Et ces pilotes, ce sont les autorités américaines (pour ce
qui est des prêts immobiliers), les régulateurs nationaux, les agences
de notation, les banques centrales - qui doivent impérativement se
coordonner davantage - et les gouvernements eux-mêmes qui doivent tout
faire pour éviter la contagion entre économie financière et économie
réelle.
La ministre de l’Economie, Christine Lagarde, a affirmé qu’elle ne croyait pas à la contagion de l’économie française.
Moi, j’ai bien peur qu’il y ait des conséquences sur la
France. Car il y a une addition de facteurs qui poussent dans le même
sens : climat de crise financière, décisions ponctuelles du
gouvernement qui vont avoir des effets sur la consommation, telles la
hausse de l’électricité, et aussi l’augmentation des prix de
l’alimentation... Tout cela donne un climat morose, là où on nous
annonçait une reprise. Alors que la croissance mondiale est très forte,
cette crise risque d’aboutir un peu partout, y compris en France, à un
freinage des investissements et de la consommation.
Aux manettes, que feriez-vous ?
Je m’assurerais de l’existence d’une bonne coordination
entre les autorités financières internationales, d’une vraie discussion
avec la Banque centrale européenne car elle ne doit surtout pas relever
ses taux. Et je mettrais sur la table la question des hedge funds (il
faut espérer que les Américains vont réagir sur le sujet comme Angela
Merkel le réclame depuis des mois) et des bulles financières. Car ce
qui se passe dans l’immobilier peut arriver dans d’autres secteurs, je
pense notamment à certains marchés énergétiques. Le problème c’est que
l’économie se « financiarise » totalement ; or les rendements
financiers exigés sont sans commune mesure avec l’économie réelle.
Comme les phénomènes de chute sont accélérés, cela donne à la fois un
effet domino et un effet casino.
Les autorités politiques et financières réagissent-elles comme il faut ?
Avant tout, il faut faire preuve de sang-froid et
développer une vision internationale coordonnée. Or, dans cette crise,
on a eu un sentiment de flottement. D’autant que nous sommes en août et
que beaucoup sont en vacances. Il fallait une réponse psychologique
forte des autorités publiques. Pour le moment, je constate qu’on est en
pleine tempête./.
Interview réalisée par Alexandra Schwartzbrod.
__________________________________________________________________________________________
Communiqué du 15 août de LF :
Dans la crise financière des crédits américains « subprime », la
plupart des prétendus spécialistes ont manqué à la fois de
clairvoyance, de transparence et de cohérence. Pas besoin en effet
d’être un gourou new-yorkais « triple A » pour prévoir que des crédits
immobiliers trop chers, trop risqués et trop nombreux, conduiraient tôt
ou tard à l’écroulement du château de cartes.
Manque de transparence, aussi, tant il est évident que, pour augmenter leurs marges et reporter une partie de leurs risques sur d’autres, les opérateurs et fonds divers ont masqué la nature de leurs créances, en tous cas les ont noyées dans la masse.
La cohérence, enfin, n’est pas au rendez-vous, avec une mention spéciale pour la BCE, lorsque d’un côté on pratique et annonce une hausse des taux d’intérêt conduisant à une contraction économique et du crédit, cependant que de l’autre on inonde de liquidités supplémentaires les circuits financiers afin d’allonger les problèmes qu’avec d’autres on a laissé se créer.
C’est autour de ces trois notions, clairvoyance, transparence, cohérence, que la crise - qui m’apparaît sérieuse - doit maintenant être traitée.
L’exposition directe et indirecte aux risques du « subprime » des différents opérateurs doit être rapidement rendue transparente par une opération vérité, sinon la méfiance, donc la crise, s’aggravera. C’est le rôle notamment des régulateurs et des agences de notation d’y procéder.
Les Banques centrales, elles, y compris la BCE, doivent annoncer qu’elles veilleront à ce que les conditions financières soient durablement accommodantes, pour éviter une contagion négative vers l’économie « réelle ».
Enfin, la clairvoyance impliquerait de tirer les leçons des mécanismes spéculatifs et des déséquilibres à l’œuvre non seulement dans le secteur immobilier où il faut cesser d’accueillir des créances à risque sans garanties, mais dans les nombreux autres domaines recelant des « bulles potentielles ». Les gouvernements et le FMI ont, là, leur rôle à jouer pour assainir cette économie domino et casino.
Tout cela, qui est d’intérêt général, suppose bien sûr qu’on ne soit pas paralysé par l’idéologie du laisser faire, mais qu’on agisse avec pragmatisme et vigueur. A propos, qu’en pense le gouvernement français et que fait-il ?/.