"La politique de l’eau sera le «marqueur» de la sincérité ou de l’hypocrisie du gouvernement en matière de développement durable."
Tribune collective de Philippe Martin, député du Gers, vice-président du groupe socialiste et spécialiste des questions de développement durable, Danielle Bousquet, députée des Côtes d'Armor et Aurélie Filippetti, députée de Moselle.
Source : http://www.liberation.fr/
«L e contentieux communautaire se développe à un rythme sensiblement supérieur à celui de la résorption des nitrates [.] et il semble que le risque juridique se double désormais, par le jeu des astreintes, d’un risque financier.» A la lumière des menaces qui pèsent sur la France depuis que la Commission européenne a demandé sa condamnation à une amende de 28 millions d’euros, avec astreinte de 117 000 euros par jour, pour non-respect de la qualité sanitaire des eaux en Bretagne, cette alerte lancée en février 2002 se révèle prémonitoire. Elle n’émanait pourtant pas d’une association militante, mais de la très sérieuse Cour des comptes, dans un rapport public consacré à «La préservation de la ressource en eau face aux pollutions d’origine agricole.» Le ministre de l’Agriculture a demandé du temps, comme d’habitude, et a proposé d’engager de nouvelles dépenses. Dans ce domaine, pour le moins, la rupture n’aura pas lieu. Pourtant, c’est peu dire que le feuilleton hydraulique breton a assez duré. A force d’illustrer les impasses d’un modèle de développement qui aboutit à stigmatiser bien malgré elle une région et sa population, mais aussi en raison d’une politique coupable de ne pas entendre les avertissements venus de toutes parts, la question des eaux bretonnes ferait figure de tragi-comédie si l’enjeu n’était pas d’une gravité majeure.
Faisant écho aux critiques de la Cour des comptes, et confronté aux premières condamnations européennes, le gouvernement de Lionel Jospin avait engagé à l’Assemblée nationale, en février 2002, une réforme courageuse des lois sur l’eau, donnant enfin tout son sens au principe «pollueur payeur». Le texte de loi, présenté par Yves Cochet et adopté en première lecture, n’ayant pu, du fait du calendrier électoral, être examiné par le Sénat, la suite est connue. Jean-Pierre Raffarin, à peine arrivé à Matignon, interrompait net le parcours parlementaire du projet de loi voté q uelques semaines plus tôt, avec la bé nédiction de sa ministre de l’Environnement Roselyne Bachelot. Incapable de proposer un texte à même de répondre efficacement aux insuffisances dénoncées depuis plus de vingt ans par tous les acteurs de terrain et les plus objectifs des experts, la majorité du moment s’est contentée d’une transposition à minima des principes de la directive-cadre européenne sur l’eau, démontrant s’il le fallait que les principes ambitieux affichés par la charte de l’environnement ne servent que d’alibis à une droite peu soucieuse de leur mise en œuvre.
En matière d’environnement, les années 2002-2007 ont été des années perdues: abandon de la stratégie nationale de développement durable préparée pour le sommet de Johannesburg et remplacement par un Plan climat dépourvu de toute mesure contraignante, affaiblissement politique sans précédent du ministère chargé de l’Environnement dont les crédits d’intervention ont chuté de 37 % en 2006, acceptation d’une politique agricole commune exclusivement productiviste, extension des cultures polluantes au prétexte d’encouragement des agrocarburants, refus d’un débat parlementaire sur les OGM, lancement de l’EPR sans débat public digne de ce nom ni perspectives crédibles pour les énergies renouvelables, discrédit international avec l’équipée du Clemenceau vers la baie d’Along au mépris de la convention de Bâle sur les déchets dangereux.
Le tout couronné par un nombre record de condamnations par la Cour de justice européenne pour non-transposition des directives sur l’environnement ou non-respect des objectifs de dépollution et de préservation de la biodiversité. Cinq ans de perdus qui ne se rattraperont ni en quelques mois ni en quelques mots. La Commission européenne l’a bien compris, qui vient d’engager une action dans l’intérêt général et celui, bien sûr, de la Bretagne. Brandir, comme le fait la droite depuis trente ans, l’argument commode de l’économie et de l’emploi pour perpétuer des pratiques dont la grande majorité de nos concitoyens ne veulent plus, c’est avoir une singulière conception du «développement durable». Et l’on hésite entre le rire et les larmes en apprenant que face à la dégradation des eaux bretonnes, le gouvernement se contente de proposer à la Commission européenne de fermer quatre points de captage !
La politique de l’eau sera le «marqueur» de la sincérité ou de l’hypocrisie du gouvernement en matière de développement durable. Si Jean-Louis Borloo, Michel Barnier est Nathalie Kosciusko-Morizet, désormais coresponsables de ce dossier, entendent convaincre nos concitoyens que le développement durable nécessite aussi des ruptures, ils devraient annoncer sans délai la suspension de toute nouvelle autorisation d’installation d’élevages en Bretagne, et s’engager à mettre en œuvre l’ensemble des recommandations formulées en leur temps par la Cour des comptes, les associations bretonnes et la Commission européenne.