Dans la nuit du 19 au 20 septembre, les parlementaires ont adopté un amendement à la loi Hortefeux qui modifie la loi Informatique et libertés, relatif à « la mesure de la diversité des origines ». Ainsi, il a été instauré une dérogation à l’article 8 interdisant « de collecter et de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître directement ou indirectement les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses (…) des personnes ou la vie sexuelle de celles-ci ». Cette dérogation a été instaurée pour permettre la conduite d’études ayant pour finalité « la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l’intégration ».
Les promoteurs de ce dispositif voudraient faire croire que « la mesure de la diversité » serait une revendication des acteurs de la lutte contre les discriminations. Pourtant, ni SOS-Racisme, ni le MRAP, ni la LICRA, ni la LDH n’ont réclamé de telles dispositions auprès de la CNIL ; bien au contraire, les antiracistes dénoncent les catégorisations ethniques qui enferment les individus dans des stéréotypes et amplifient les logiques et les analyses racistes. SOS-Racisme dénonce depuis des années le fichage ethnique des salariés et demandeurs d’emploi tel qu’il a été mis à jour par exemple chez Adecco, avec le code BBR pour les personnes de type européen et non-BBR pour les autres. Chez ce géant de l’intérim, le fichage était utilisé pour satisfaire les consignes discriminatoires de certains gros clients.
SOS-Racisme dénonce également depuis des années le fichage ethnique des locataires HLM et des demandeurs de logements sociaux tel qu’il a été mis à jour par exemple à l’OPAC de Saint Étienne, avec les catégories « Maghrébins », « Africains », « Asiatiques » pour les « étrangers », et « Français », sans tenir compte de la nationalité mais de la phonétique du nom et du prénom du locataire. Enfin, SOS-Racisme dénonce depuis des années le fichage ethnique des citoyens par la police, tel qu’il a par exemple été utilisé en 2005 par les RG pour diviser les Français en trois catégories : les « Français d’origine maghrébine, Français d’origine africaine et Français d’origine non immigrée ».
Contre ces pratiques illégales de fichage ethnique avéré, SOS-Racisme a saisi la CNIL à maintes reprises, mais à chaque fois cette haute autorité s’est contentée de demander la destruction du fichier illégal, sans réclamer à la justice la moindre sanction pénale. À ce jour, aucune condamnation n’a été prononcée en France pour fichage ethnique, alors que ce délit est passible depuis 1978 de cinq ans de prison et de 300 000 euros d’amende.
Ceux à qui les parlementaires viennent de donner satisfaction ne sont pas des acteurs de la lutte contre les discriminations mais de grandes entreprises, des organismes HLM et l’ancien ministre de l’Intérieur, devenu président de la République. Ne trouvez-vous pas étrange que ceux-là même qui pratiquaient il y a peu le fichage ethnique à des fins de discrimination prétendent avoir besoin d’une « mesure de la diversité des origines » pour aujourd’hui lutter contre les discriminations ? En réalité, dans ces entreprises ou organismes, il semblerait que l’on s’emploie à mettre en avant statistiquement l’existence d’une « diversité des origines » pour se prémunir contre l’accusation de discrimination. Mais diversité ne signifie pas absence de discrimination. L’une et l’autre peuvent cohabiter. C’est d’ailleurs dans les secteurs d’activité où les immigrés sont les plus nombreux que l’on recense un grand nombre d’actes de discrimination, comme l’ont démontré les testings effectués par SOS-Racisme, le BIT et le Centre d’analyse stratégique dans la branche de l’hôtellerie-restauration. Dans beaucoup de ces entreprises, la mesure de la diversité devient un outil de la discrimination menée au nom de la recherche des équilibres.
Avant d’affirmer de manière péremptoire que la mesure de la diversité constituerait naturellement un outil de lutte contre les discriminations, les parlementaires auraient mieux fait de s’interroger sur ce qu’il y avait à faire d’utile aujourd’hui pour lutter contre elles. Ceux qui parmi eux veulent sincèrement les combattre auraient plutôt dû donner les directives et les moyens à la CNIL, à l’Inspection du travail et à la Mission interministérielle d’inspection du logement social de traquer les fichiers ethniques dans les entreprises et les organismes HLM afin de démanteler les systèmes discriminatoires.
Le fait que cette modification de la loi Informatique et Libertés ait été réalisée dans le cadre d’une loi discriminatoire remettant en cause le droit des immigrés à vivre en famille sur le sol français vient aujourd’hui renforcer notre crainte de la voir utilisée non pas pour lutter contre les discriminations mais pour permettre leur amplification ou leur camouflage.