Tribune de Jean-Pierre SUEUR, sénateur du Loiret, ancien ministre.
Publiée dans Liération.fr du lundi 8 octobre 2007
Ce n’est pas le moindre mérite des longs débats parlementaires, comme celui qui a duré quatre heures au Sénat sur le seul «amendement ADN», que de révéler le fond des choses, le posé et le présupposé, le dit et le non dit. Car nul, au terme de ce débat, ne peut prétendre un instant que le dispositif laborieusement concocté par la majorité des sénateurs UMP pour sauver la présence dans le texte sur l’immigration de ces trois lettres emblématiques, ADN, ait quelque chance de s’appliquer.
Imaginons une demande de regroupement familial concernant un enfant vivant à mille ou deux mille kilomètres du consulat le plus proche en Afrique, en Asie, en Océanie (ce qui est une situation banale). Les autorités françaises, après avoir constaté les carences de l’état-civil, après avoir enquêté sur l’éventuelle «possession d’état», décideraient donc de faire procéder à un test ADN. Elles devraient en conséquence, selon le texte voté, saisir le tribunal de grande instance de Nantes, lequel devra procéder à des «investigations» (où ? comment ? avec quels moyens ? Investiguera-t-il sans envoyer personne sur place ?), puis tenir un débat contradictoire, avec, donc, le représentant de l’enfant, ou de ses représentants légaux - le père et la mère, alors que l’éventuel test ADN ne concernerait que la mère ! - qui sera nécessairement un avocat commis d’office (payé comment ?), qui ne connaîtra pas les personnes qu’il est censé défendre, ne les rencontrera pas (sinon, avec quels moyens ?), n’aura pas la possibilité de voir de près si l’état-civil, là-bas, est fiable ou pas, etc. Et ce n’est qu’un exemple des improvisations et contorsions juridiques auxquelles on s’est livré pour sauver l’amendement ADN.
D’où une question. Pourquoi cette obstination, cet acharnement, cette rage à le faire passer coûte que coûte ? La première réponse est évidente : tout recul sur le symbole ADN - fût-ce pour d’évidentes raisons éthiques ou pratiques - porterait préjudice à l’acte fondateur du pouvoir en place, à savoir le ralliement d’une part importante des électeurs du Front National au candidat de l’UMP. Mais il en est une seconde, qui tient au surgissement des fondamentaux d’une certaine droite. Je veux parler de la fascination génétique. Il n’y a pas si longtemps, le ministre de l’Intérieur de l’époque envisageait, à la suite du rapport Ginesti et d’un autre de l’Inserm, de «dépister» chez les enfants en bas âge les futurs délinquants, ce qui signifiait implicitement que la délinquance était inscrite dans les gènes.
Mais l’implicite devenait bientôt explicite lors du débat entre Michel Onfray et le candidat Sarkozy qui expliquait dans la revue Philosophie Magazine que la criminalité relevait de l’inné : «J’inclinerais, pour ma part, à penser qu’on naît pédophile.» On assiste aujourd’hui à la promotion d’une définition strictement génétique des liens familiaux, au rebours de toute notre tradition juridique.
Il y a derrière l’acharnement à faire passer l’amendement ADN, le retour de l’un des courants les plus inquiétants de la droite française : le déterminisme génétique, c’est la philosophie la plus conservatrice qui soit, c’est le contraire de l’humanisme, la négation de l’éducation et des capacités d’émancipation de chaque être humain.