Interview de Laurent Fabius parue dans Témoignage Chrétien, sur le traité de Lisbonne et sur la crise sociale. Source : blog de Laurent Fabius
Après la décision du Bureau national du PS d’approuver le traité dit simplifié, quelle sera votre attitude ?
Je continuerai à demander un référendum car c’est le peuple qui doit se prononcer. Vous avez raison de parler de traité « dit » simplifié, car le texte en réalité est long et complexe. Sur le contenu, il y a ici ou là des avancées institutionnelles comme une présidence plus longue ou un représentant de l’Union pour les affaires étrangères. Mais par rapport aux urgences européennes et citoyennes, c’est assez périphérique. Sur le plan de l’harmonisation sociale et fiscale, de la politique monétaire, des protections commerciales et de la stratégie industrielle contre les délocalisations, il n’y a aucun progrès, notamment concernant les mécanismes de blocage du vote à cause de l’unanimité maintenue.
Alors pourquoi ne pas vous opposer à ce texte ?
En tous cas, je ne l’approuverai pas. Il y a eu une renégociation en 2007, alors qu’on nous expliquait en 2005 qu’elle était impossible. L’ennui, c’est qu’elle a été mal conduite, qu’elle n’a pas tenu vraiment compte du vote des Français et que maintenant une seconde renégociation ne serait pas facile.
Vous maintenez votre demande de référendum ?
Tout à fait. C’est une question de fond, et non de forme, que le peuple français ait à se prononcer sur ce texte. Nous les socialistes, nous nous sommes engagés en ce sens pendant les campagnes présidentielle et législative. Le fait que M. Sarkozy ne souhaite pas consulter le peuple n’est pas une raison pour que nous changions maintenant de position. En refusant ce référendum, le pouvoir ne tire pas la leçon du déficit démocratique sur les questions européennes. Pire, il l’aggrave.
On a le sentiment que François Hollande n’était pas très chaud pour ce référendum...
Je ne suis pas dans sa tête. Surtout, je regrette que le PS ne se soit pas tenu à l’engagement pris, ce qui aurait eu en outre l’avantage de rassembler l’ensemble des socialistes. Pour ma part, je ne veux pas mettre de l’huile sur le feu des divisions. Mais, je constate que la population, si elle commence à manifester de l’insatisfaction par rapport au pouvoir, se désole de voir l’opposition divisée et pas assez offensive.
Nicolas Sarkozy a t-il raison de dénoncer la politique trop restrictive de la Banque centrale européenne ?
Oui, mais que fait-il pour inverser la tendance ? L’Europe a un problème évident de parité monétaire avec nos concurrents. Les Américains pratiquent une politique de dollar faible pour rééquilibrer leur balance commerciale. Les Chinois ont la même stratégie avec le yuan afin d’exporter au maximum. Dans ce triangle, quel est “ l’idiot du village mondial”, selon l’expression d’Hubert Védrine ? C’est l’Europe qui n’a pas de réelle stratégie monétaire. L’euro cher pose deux types de questions. Va-t-on accepter que notre industrie continue à être délocalisée ? Pourquoi la BCE ne se préoccupe-t-elle que de l’inflation et non, comme son homologue américaine, de la croissance et l’emploi ? Le nouveau traité entérine les pratiques actuelles qui contribuent à vider l’Europe de son industrie et de ses emplois. Je ne peux pas être d’accord !
Concernant la Chine, certains observateurs craignent un effondrement de la bulle spéculative, avec de graves conséquences sociales...
D’ici les JO de l’été prochain, je pense qu’il ne se passera pas grand-chose sur ce plan car les dirigeants chinois ont une gestion très politique de leur monnaie et de leur économie. Après les JO, ce peut être différent et il faudra bien que certaines spéculations se dénouent. Au moins trois grandes questions attendent la Chine. Quelle priorité économique et sociale ? Le développement de son marché intérieur ou celui de ses exportations ? Un journaliste disait avec humour que l’idéal serait que la Chine redevienne communiste, en ce sens qu’elle s’intéresse d’avantage à son marché intérieur et décide certaines avancées sociales, par exemple sur la retraite et la santé. Elle pèserait ainsi moins sur le marché international. Une autre question majeure est la politique des changes : si la Chine ne modifie pas sa stratégie envers les Etats-Unis, elle va accumuler des réserves considérables d’une monnaie, le dollar, de plus en plus affaiblie. Mais il faut maitriser cette évolution, sinon nous entrerions dans de graves perturbations. Je n’oublie pas le troisième problème, la dégradation inquiétante de l’environnement liée aux énormes besoins en énergie, avec des répercussions mondiales.
Revenons dans notre pays gravement perturbé par des conflits sociaux. Les syndicats ont-ils raison d’aller à l’épreuve de force avec Nicolas Sarkozy ?
Ils veulent à la fois de la justice dans les réformes et de la négociation. C’est sur cette double base - une répartition équitable des efforts et une négociation globale - qu’il faudrait réformer le système des retraites. Le Gouvernement s’y refuse et le pouvoir d’achat d’une majorité de français recule. Qui veut l’épreuve de force aujourd’hui ? N’est ce pas en réalité, le président et son gouvernement ? Cette question des régimes spéciaux est un test sur la nécessité de négocier. 2008 nous montrera que les réformes antérieures concernant le régime général des retraites n’ont pas réglé le problème, notamment par rapport au niveau des pensions. Il faudra, là aussi, de la négociation et de la justice.
Un mot pour finir sur l’affaire de l’Arche de Zoé. Cette affaire n’est-elle pas la conséquence d’exagérations sur le Darfour ?
Non. J’étais en début d’année sur place, j’ai vu une situation horrible mais je n’ai pas parlé de « génocide » car il s’agissait pour le pouvoir sanguinaire de Khartoum plutôt de vider la région d’une partie de son peuple que de l’éradiquer. Mais, 200 000 morts, c’est une horreur absolue ! Ce n’est pas parce qu’il y a une controverse sur le terme à employer qu’il faut oublier les faits et nier la cruauté des crimes ainsi que la nécessité urgente d’agir dans cette région d’Afrique. Pour autant, agir ne veut pas dire agir n’importe comment./.