Entretien réalisé par Jacqueline Sellem, l'Humanité du 5 Novembre 2007.
Depuis la grève du 18 octobre, Sarkozy ne cesse de répéter : « J’ai été élu pour faire ces réformes, ce n’est pas la rue qui m’arrêtera. » Qu’en pensez-vous ?
Daniel Paul. Je ne pense pas que les mesures prises depuis six mois aient été détaillées dans le programme de Nicolas Sarkozy. Et il ne s’agit pas d’opposer la rue et les urnes. Parmi les manifestants du 18 octobre comme parmi ceux qui se préparent pour le 14 novembre, pour le 20 ou, comme les magistrats, pour la fin du mois, il y a des électeurs qui ont cru au discours sarkozyste. J’en connais personnellement. L’arrogance ou la division ne peuvent tenir lieu de politique. Et la démocratie, je dirai même la République, ce n’est pas le diktat permanent, c’est la discussion, la négociation.
Le gouvernement parle, pour les luttes en cours, de corporatisme, de privilégiés…
Pour les retraites, l’objectif du gouvernement est de passer à quarante et un ans de cotisations. Il veut donc commencer par aligner tout le monde sur la durée la plus élevée possible. Parler de privilèges et montrer du doigt les cheminots ou les salariés d’EDF et de GDF est une tromperie. Les privilégiés, ce sont les actionnaires de la Générale de santé qui vont se partager un dividende exceptionnel de 420 millions d’euros, soit la moitié du montant des franchises médicales. Ce sont les bénéficiaires de stock-options qui n’ont pas à s’inquiéter de la taxation à 2,5 % que l’Assemblée vient de voter, même si c’est un premier pas. Ce sont les actionnaires de Suez qui vont recevoir en 2008 une pépite nommée GDF. Le pouvoir cherche à diviser le monde du travail pour mieux faire passer ses mauvais coups en direction de tous les salariés. C’est pourquoi, comme tous les députés communistes, je serai dans la rue, avec les salariés, le 14 et les jours suivants éventuellement.
Quel est l’état d’esprit de ceux que, comme député, vous rencontrez ?
Ma circonscription est composée essentiellement de cités d’habitat social où l’on vit de plus en plus mal. Aujourd’hui, nous menons une grande bataille sur les charges locatives. Leur augmentation pose des problèmes énormes compte tenu de la stagnation du pouvoir d’achat des retraites, des pensions et des salaires. De plus en plus de personnes me parlent de leur impossibilité à faire face aux rappels de charges qui tombent actuellement. Et avec l’augmentation des prix du pétrole, cela va continuer. Il y a donc de l’inquiétude. De la colère aussi devant l’accumulation des mauvais coups, la précarité qui se développe, les inégalités qui se creusent et qui sont ressenties comme telles. Mais ce qui est le plus fort aujourd’hui dans ces cités, c’est la colère contre la baisse du pouvoir d’achat.
Après six mois de présidence Sarkozy, quel bilan ?
Nous vivons une adaptation à marche forcée aux exigences libérales. Ce président veut faire table rase de tout ce que notre peuple a su créer collectivement, il pousse à l’individualisme, au communautarisme, à la division et à l’affrontement. Mais, l’histoire l’a montré, on ne fait pas une politique favorable au peuple en le divisant, en réduisant ses droits sociaux, en touchant à la dignité des gens. Avoir été élu en mai en l’absence d’une alternative réellement de gauche ne donne pas le droit de déclencher une offensive sans précédent contre le monde du travail en prétendant ne rien écouter, ne rien négocier, parce que tout aurait été acquis le soir du deuxième tour. Les enjeux des prochaines semaines sont lourds. Raison de plus pour que la gauche soit sans concession avec ce pouvoir (je pense évidemment au traité européen). La droite montre que la politique peut changer les choses - hélas ! dans le mauvais sens actuellement -, à la gauche d’avoir le courage de s’opposer, de proposer et ensuite, bien évidemment, de mettre en oeuvre./.