36 ans, cet universitaire de Reims et chercheur au CERAPS de Lille 2, Un regard sans concession. Cet animateur du club Gauche Avenir est aussi auteur, avec Frédéric Sawicki, de « La société des socialistes » (Ed. du croquant 2006)
[Interview dans Nord Eclair 24/11/07]
Le Parti socialiste est en mauvaise posture... Quel est votre sentiment sur son état aujourd’hui ?
Il est très affaibli, tant sur le plan de sa ligne idéologique qu’en ce qui concerne sa visibilité. Il y a un problème de leadership, qui, dans une démocratie de l’hyper-personnalisation, le condamne à l’échec. Il est dans l’incapacité de produire une ligne commune. Il y a, selon moi, trois données externes qui pèsent sur les partis de gauche : l’individualisme, la médiatisation et la mondialisation. Le socialisme s’est bâti sur la base de l’État-nation remis en cause par le phénomène de la mondialisation. Quant à l’utopie socialiste de l’Europe, elle n’est pas dominée par la social-démocratie. Et au contraire, l’Europe se présente plutôt comme un cheval de Troie libéral. La médiatisation favorise une certaine dramatisation et conduit à la simplification des enjeux, à la manière de ce que fait Nicolas Sarkozy. Alors qu’il n’y a pas de gauche sans pédagogie...
Mais pour faire de la pédagogie, il faut un programme. Or, on a du mal à saisir celui du PS...
Il y a un problème de clarification idéologique. Il n’y a pas d’horizon de transformation sociale au sein du PS. Pas de contenu positif. De plus, il y a une droitisation du discours. Certains propos tenus aujourd’hui, sur l’assistanat, la nation, la sécurité, auraient été inimaginables il y a 5 ans.
À quoi tient cette « droitisation » ?
Elle relève d’un certain fatalisme. L’idée qu’il faut s’adapter à une opinion publique qui serait passée à droite. Le problème du PS, c’est que c’est un parti qui ne pense plus, qui ne comprend pas les évolutions de la société et qui est dominé par des intérêts uniquement électoraux et locaux.
Ce sont ces pesanteurs locales qui empêchent le PS de produire un programme audible ?
C’est paradoxal : il n’y a jamais eu autant d’élus locaux au sein du PS. Ils représentent un tiers des militants, sans compter les gens qui travaillent dans les collectivités. Cela fait du PS un parti qui ne prend pas de recul par rapport à une société devenue complexe. C’est l’inverse de Nicolas Sarkozy, qui a fait un vrai effort de compréhension et présente une droite « renouvelée » et toujours ultralibérale sur le plan de l’idéologie.
Vous évoquez une « idéologie » de droite...
Le libéralisme est en effet une idéologie qui se présente comme la seule et unique solution. C’est le « no alternative » de Margaret Thatcher, ou de Blair. Dire qu’il n’y a ni droite ni gauche mais une seule façon de gérer, c’est idéologique. La domination du libéralisme a amené un retournement : longtemps, en France, on a eu une droite très complexée et une gauche qui s’assumait.
Aujourd’hui, c’est l’inverse. La droite va jusqu’à afficher la légitimité des inégalités ! La gauche a perdu la bataille idéologique et se retrouve en position défensive. C’est ce qui a mené à la droitisation d’un certain discours à gauche, erreur stratégique qui légitime celui de la droite.
Les adhérents à 20 € ont-ils apporté quelque chose au PS ?
Beaucoup sont arrivés avec une approche consumériste. Ils trouvaient que le PS n’évoluait pas et voulaient peser sur la candidature, que ce soit celle de Royal ou d’un autre. Ils ont été très souvent mal accueillis dans les sections et choqués par le fonctionnement bloqué, routinier et verrouillé. Il y a beaucoup de codes au Parti socialiste, ils n’y étaient pas familiarisés. Cela montre aussi une crainte, au sein du PS, que l’afflux d’éléments extérieurs ne vienne remettre en cause les équilibres internes. Il y a beaucoup de gens qui désespèrent du parti. Ils veulent prendre leur part de militantisme, mais on ne leur offre rien d’attractif. Le PS déçoit à la mesure des attentes qu’il suscite.
Entre Strauss-Kahn et Mélenchon, reste-t-il encore quelque chose de commun ?
Ce qui reste, c’est un rapport critique au libéralisme. Mais là où DSK veut utiliser les richesses produites à des fins redistributives, Mélenchon entend donner à l’État le rôle essentiel. C’est un peu la dichotomie entre incitations et contrainte. Mais il y a encore matière à rassemblement. Dans les années 70, la bataille idéologique au sein du Parti socialiste n’empêchait pas un discours extérieur cohérent.
Que se passerait-il si le congrès prévu en 2008 avait lieu aujourd’hui ?
Ma plus grande crainte, c’est que l’opinion ait de plus en plus de mal à comprendre le PS. Ce dernier, je l’ai dit, a un travail de pédagogie à faire. Cela veut dire qu’il lui faudra peser autrement que par les médias. Il doit miser sur l’intelligence des gens : ça passe par faire de l’éducation populaire. C’est la première fois que la droite est majoritaire dans les classes populaires. Le PS a complètement abandonné les ouvriers. C’est un parti qui est dans l’entre-soi, sans aucune ouverture sur le monde. Pas étonnant que les classes laborieuses ne s’y retrouvent plus./.