Tribune de Bruno julliard président de l’Unef (Union nationale des étudiants de France), publiée dans Libération.fr du 13 Novembre 2007.
La mobilisation étudiante prend de l’ampleur dans les universités. Après deux semaines d’assemblées générales massives sur une trentaine de sites universitaires, les étudiants apparaissent plus que jamais déterminés à se faire entendre du gouvernement. La tension sur les universités qui se manifeste aujourd’hui est perceptible depuis plusieurs semaines et ses motifs sont nombreux.
La rentrée universitaire s’est en effet déroulée, malgré les promesses, dans un contexte budgétaire très difficile pour les établissements et les étudiants, dont le pouvoir d’achat et les conditions de vie continuent à se dégrader pour la sixième année consécutive. Le service public d’enseignement supérieur reste le parent pauvre des politiques éducatives : sous-financement chronique, inégalités entre universités délaissées et grandes écoles privilégiées, difficultés d’insertion professionnelle, pression accrue sur les diplômes et les salaires dans un contexte de chômage de masse, sélection des étudiants par l’échec lors des premières années. Comme pendant le mouvement contre le CPE, la jeunesse craint pour son avenir.
Depuis 2006, aucune mesure n’a été prise en faveur des étudiants. Les causes du malaise sont toujours présentes. Les étudiants sont viscéralement attachés à un service public d’enseignement supérieur de qualité, permettant l’accès et la réussite de tous, toutes conditions sociales confondues. Bref, un modèle de service public ou l’Etat joue son rôle en finançant les établissements, en aidant socialement les étudiants et en compensant les inégalités.
Or, par ses choix budgétaires pour 2008, par les priorités politiques qu’il affiche et par la loi sur l’autonomie des universités, le gouvernement a ouvert la porte au désengagement politique et financier de l’Etat. La loi sur l’autonomie des universités cristallise ces inquiétudes liées à la démission de l’Etat.
Cette loi est en effet mauvaise et dangereuse. Mauvaise, car elle n’envisage l’enseignement supérieur que par le prisme déformé des gestionnaires sans s’attaquer aux défis majeurs du système (la réussite et l’accompagnement social des étudiants, l’insertion professionnelle, la place de la recherche).
Dangereuse, parce qu’elle créera plus de problèmes qu’elle n’apportera de solutions en introduisant des reculs en termes de démocratie universitaire, en précarisant un peu plus les personnels et en ouvrant la porte au désengagement de l’Etat par des transferts de compétences que nous refusons. Si cette loi était si irréprochable, le gouvernement ne l’aurait pas fait voter en catimini pendant l’été.
Malgré les concessions obtenues dans le cadre des «concertations» (notamment le retrait de la sélection à l’entrée du master), l’Unef demande que le gouvernement revoie sa copie et apporte des modifications législatives à son texte, en particulier en revenant sur la composition des conseils d’administration pour garantir la place des élus, en limitant les possibilités de recours à des personnels contractuels, en accompagnant financièrement les compétences nouvelles des universités (réhabilitation des bâtiments avant tout transfert) et en supprimant l’obligation de recours à l’orientation active.
Surtout, cette loi s’applique dans un contexte budgétaire difficile. Malgré les engagements du président de la République, le budget 2008 pour l’enseignement supérieur est en trompe-l’œil, affecté essentiellement aux exonérations fiscales aux entreprises dont le montant a triplé ainsi qu’au paiement en retard d’engagements de l’Etat des années précédentes. Pour la première fois depuis de nombreuses années, ce budget ne prévoit aucune création de poste alors que les besoins d’encadrement n’ont jamais été aussi importants.
Cette douche froide est pour beaucoup dans la mobilisation actuelle. L’autonomie des universités s’appliquant dans un contexte de pénurie budgétaire, le gouvernement est le seul responsable de la situation de blocage actuel. Les conditions de la rentrée ont démontré que le «dialogue» que nous avions engagé pendant l’été n’était plus suffisant pour que le gouvernement prenne en compte ces inquiétudes. Les étudiants et l’Unef n’ont dès lors pas d’autre choix que de se mobiliser pour faire revenir le gouvernement à la table des négociations.
Au-delà des revendications portant sur la loi sur l’autonomie, l’Union nationale des étudiants de France demande au gouvernement de programmer les moyens budgétaires sur plusieurs années de l’enseignement supérieur. Les promesses ne suffisent pas à rassurer. Sans cette programmation, la loi sur l’autonomie ne serait que le cache-sexe du désengagement de l’Etat, que les étudiants refusent aujourd’hui. Cette programmation doit en particulier permettre d’agir pour la réussite des étudiants et pour résorber la précarité de leurs conditions de vie.
Le gouvernement semble aujourd’hui ignorer ces attentes et prend le risque d’une amplification du mouvement. Calcul cynique pour décrocher les étudiants de l’opinion ? Calcul dangereux en tout cas, car tourner le dos à la jeunesse ne peut tenir lieu de politique pour l’avenir. Valérie Pécresse doit enfin faire la démonstration qu’elle est bien la «ministre des étudiants» qu’elle prétendait être a son arrivée. Il n’est pas trop tard.