"Tolérance zéro, bilan zéro" Tribune de Dominique Sopo, président de SOS-Racisme publiée dans Le Monde.fr du 29 Novembre 2007.
Comme un mauvais remake des événements qui avaient endeuillé puis embrasé Clichy-sous-Bois, la mort de deux jeunes habitants de Villiers-le-Bel remet sur le devant de la scène la question des violences urbaines. Avec, constatons-le pour nous en alarmer, le passage de violences urbaines qui, au plus fort de novembre 2005, prenaient au maximum la forme d'émeutes somme toute assez "classiques" à une situation qui, selon les premiers éléments d'information, est frappée du sceau de l'ultraviolence.
Evidemment, face à cette réalité, les explications fournies par le pouvoir politique pour s'exonérer de ses propres responsabilités vont immédiatement fleurir. Et pour essayer de trouver un écho au populaire "font chier, les bougnoules", sera sans doute à nouveau élaboré le très raffiné "nous avons un problème dans notre pays avec les populations issues de l'immigration, et notamment les Noirs". Je n'invente là rien puisque ce fut, grosso modo, l'explication distillée dans l'opinion publique par le ministère de l'intérieur suite aux violences urbaines de 2005. Et si cette ligne, quelle que soit la variante retenue, venait à être à nouveau intégrée par l'opinion publique, le pouvoir politique s'en sortirait une fois de plus d'une façon très simple : puisque le problème ce sont ces populations, il faut donc les mater à coups de trique et de matraque. Comme on dit, la meilleure défense, c'est l'attaque...
Mais regardons maintenant la réalité telle qu'elle est, et non telle que le pouvoir politique sera tenté de nous la présenter. Le pouvoir politique, dans une société, a la responsabilité d'assurer la sécurité des biens et des personnes. Nicolas Sarkozy, lorsqu'il occupait la place Beauvau, s'étendit suffisamment sur le sujet - pointant ce qu'il considérait comme l'échec de ses prédécesseurs - pour que l'actuel pouvoir n'ait pas l'indécence de vouloir échapper à la propre analyse critique de la méthode employée en matière de lutte contre les violences et l'insécurité.
Et force est de le constater : le bilan, au regard des violences de novembre 2005 et de la montée des comportements ultraviolents constatés à Villiers-le-Bel, est lourdement négatif, et même, pour tout dire, assez catastrophique.
Car sous l'apparence du pragmatisme et du bon sens bien épais, la méthode de M. Sarkozy aura été marquée par un dogmatisme d'une rigidité peu commune. Il s'est agi, en quelque sorte, de croire (ou de faire croire...) que les problèmes de violence pouvaient se régler non pas en tenant compte de toute une série de facteurs liés au minimum de complexité de la vie en société, mais simplement à travers le simplissime slogan de "tolérance zéro" décliné, en matière policière, dans la mise en vedette de la méthode du saute-dessus et de vastes opérations médiatico-policières aussi spectaculaires qu'inefficaces.
MARKETING POLITIQUE
C'est à l'aune de cette pensée dont l'échec est aujourd'hui patent que fut par exemple supprimée la police de proximité. Souvenons-nous, car c'était là encore le bon sens qui parlait : la police n'avait pas pour mission de faire des matches de foot avec les gamins mais de lutter contre la violence. Résultat : une disparition de la police de proximité qui a logiquement signifié la disparition de policiers reconnus et respectés dans tel ou tel quartier, mais qui a également entraîné l'abandon par l'Etat de territoires urbains dont les populations furent réduites au rôle de méchants dans une pièce de théâtre politique jouée avec une belle régularité aux JT de 20 heures et intitulée La France a peur.
Par cette tendance à confondre l'action sur le réel avec le marketing politique, aucune réponse intelligente n'aura été apportée dans les dernières années au problème de la sécurité : destruction dogmatique de la police de proximité, incapacité à élaborer une méthode intelligente d'affectation des policiers (qui éviterait de mettre les policiers les moins expérimentés dans les zones les plus dures), incapacité à réformer la formation initiale des policiers (notamment sur la question de la vision exotique des populations d'origine immigrée, ce qui n'est pas pour rien dans les tensions entre les policiers et une partie de la population), stigmatisation d'une violence symbolique inouïe à travers ces incursions répétées sur la thématique anti-musulmane ou sur l'identité nationale...
Autant de failles qui, dans toute une série de quartiers, créent un recul - vraisemblablement sans précédent dans l'histoire récente du pays - du respect de l'autorité.