À Paris, le centre d’hébergement et de réinsertion sociale de la rue des Pyrénées accueille un public divers. Et notamment beaucoup de travailleurs pauvres, témoins de la crise grandissante du logement. Enquète de Servane Viguier, l'Humanité.fr 22 nov 07.
Ici, un lit ne reste jamais vide plus de deux nuits. Ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre, le centre de la rue des Pyrénées, qui vient de changer son statut de centre d’hébergement d’urgence en réinsertion sociale, accueille femmes et hommes en difficultés, travailleurs réguliers, précaires, personnes sans emploi, étudiants, retraités, sans-papiers, avec ou sans travail, déclaré ou pas. Tous ont en commun d’être isolés. En tout, cinquante-quatre personnes sont accueillies dans les trente-neuf chambres du centre.
« On ne laisse jamais une personne dehors quand on frappe à notre porte », précise Souleymane Ba, responsable du centre et salarié de l’Association Emmaüs. À l’entrée, les trousseaux de clés s’empilent sur un tableau. Les hébergés rentrent au chaud, d’autres viennent de terminer leur journée de travail. « Depuis dix ans, on rencontre un nouveau type de population à la rue : les travailleurs pauvres, résume Souleymane Ba. Ils représentent deux tiers des hébergés du centre, qu’ils soient en intérim, en emploi fixe, avec des salaires décents ou faibles. Même avec un emploi stable, les garanties exigées paralysent toute demande de logement durable. La crise ne cesse de s’étendre et touche aujourd’hui ceux qui ont en apparence les moyens d’être autonome », analyse le responsable.
Toute la nuit, le tableau à clés ne cessera de se remplir. « Les travailleurs de nuit sont aussi nombreux », explique Souleymane, atterré de voir qu’aujourd’hui travail ne rime plus avec sécurité. « Un homme est venu au centre il y a quelques semaines. Il gagnait 1 900 euros par mois ! Mais il y a aussi tout ce que l’on ne voit pas derrière : les dettes, les pensions alimentaires, les divorces et autres ruptures familiales, auxquelles ils ne peuvent faire face. Tout peut basculer du jour au lendemain dans notre société. » Beaucoup, dans le centre, préfèrent préserver leur anonymat, évoquant un « sentiment de honte et d’échec ».
« Avant, on se confrontait surtout à des marginaux. Désormais, le centre accueille des personnes qui avaient jusqu’à présent un certain confort de vie et qui se retrouvent projetées dans une misère subite. Ce constat est alarmant », s’inquiète le responsable. « On assiste aussi à une féminisation de la rue. » Dix-sept femmes habitent au centre, alors qu’auparavant elles faisaient plutôt figure d’exceptions.
L’heure du dîner arrive, les hébergés se réunissent autour d’une table. Les gobelets en plastique ont été remplacés par de la vaisselle « dure » depuis que le centre a changé de statut, et de budget. On achète du mobilier neuf pour les chambres. Chacun verse 15 % de ses ressources, contre un euro cinquante lorsqu’il s’agissait d’un CHU. Mais « ceux qui n’ont pas de papiers (20 % des hébergés - NDLR), on ne leur demande rien ». « Si notre mission est de réaliser un travail sur du long terme, le fait de ne plus être un CHU ne doit pas nous empêcher de répondre à l’urgence des situations. Il faut préserver la mixité des lieux. Et l’on sait que, dans les CHRS, les sans-papiers sont plus rares », s’inquiète Souleymane.
Des jeunes agrippent leur trousseau de clés sur le tableau avant d’aller griller une cigarette dehors. Bourses supprimées, loyers trop cher malgré les aides au logement : les étudiants débarquent de plus en plus dans les centres d’hébergement. « Nous n’avons pas vocation à aider les étudiants, mais la situation est telle… », constate Souleymane, lui-même arrivé dans l’association de l’abbé Pierre il y a quatorze ans, après avoir perdu les aides qui lui permettaient d’être étudiant. Veilleur de nuit pendant quelques années dans les centres d’hébergement, Souleymane dit avoir beaucoup appris en écoutant les SDF. « La nuit, les langues se délient », explique-t-il.
La plupart des hébergés ont été guidés par des travailleurs sociaux, d’autres ont appelé le 115. « Notre mission est d’aider ces personnes fragiles à monter un projet à long terme qui s’inscrit dans une dynamique d’insertion. Certains restent une nuit, d’autres plusieurs semaines. Mais en principe, ils ne restent pas plus de trois mois. Un tiers parvient à trouver un logement autonome. Même si le temps n’est pas défini, il faut éviter de faire traîner dans la durée leurs difficultés. Pour que ça marche, il ne faut pas assister mais stimuler », explique encore le responsable du centre, aidé par quatre auxiliaires sociaux éducatifs, salariés de l’association, deux compagnons d’Emmaüs, et deux autres travailleurs sociaux. Et la loi DALO ? Beaucoup en parlent. Certains y voient un espoir, d’autres une nouvelle mesure qui ne changera rien, « une fois de plus », à leurs difficultés./.