On nous avait promis un « traité simplifié ». Il s'agit d'un texte littéralement - et volontairement ? - illisible. On nous avait dit : « un traité de nature institutionnelle ». Primo : le traité corrigé est en retrait sur les avancées institutionnelles que comportait le projet précédent. Secundo : le nouveau texte conforte la priorité donnée à l'euro par la Banque centrale européenne à la seule lutte contre l'inflation (article 245bis-2). Au final, le seul engagement tenu par le chef de l'État, c'est de priver le peuple de son droit souverain de consentir ou non aux nouvelles institutions européennes qu'il lui propose.
Tribune de Guillaume Bachelay et Pascal Cherki, du Conseil national du PS (Le Figaro 5 nov 07)
Le 21 février dernier, à Strasbourg, le candidat de l'UMP à l'élection présidentielle annonçait qu'il proposerait, sitôt élu, « à nos partenaires de nous mettre d'accord sur un traité simplifié » reprenant « les dispositions du projet de traité constitutionnel nécessaires pour que l'Europe puisse se remettre en marche, qui n'ont pas suscité de désaccord majeur durant la campagne référendaire ». Il ajoutait à propos de cette idée subtilisée à d'autres, notamment à l'Allemagne : « Ce traité simplifié, de nature institutionnelle, sera soumis pour ratification au Parlement. » Le 19 octobre dernier, à Lisbonne, les chefs d'État et de gouvernement européens ont conclu un accord sur un traité dit « de fonctionnement de l'UE ». À cette occasion, Nicolas Sarkozy a réitéré sa volonté de soumettre son approbation au seul vote des parlementaires.
Reprenons. On nous avait promis un « traité simplifié » : le texte élaboré par les jurisconsultes du Conseil des ministres européens, sur lequel les dirigeants des 27 pays se sont prononcés et dont ils n'ont pas modifié la substance, comprend près de 300 articles sur plus de 200 pages qui ne s'éclairent qu'à la lumière des traités précédents. Il s'agit donc d'un texte littéralement - et volontairement ? - illisible pour les citoyens non initiés aux délices de la novlangue bruxelloise.
On nous avait dit : « un traité de nature institutionnelle ». Certes, l'essentiel des parties III et IV de la défunte Constitution a disparu du texte de Lisbonne. C'est un progrès, conforme aux demandes du non de gauche. Demeurent toutefois deux séries de problèmes sérieux. Primo : le traité corrigé est en retrait sur les avancées institutionnelles que comportait le projet précédent. Ainsi, la charte des droits fondamentaux ne s'appliquera pas au Royaume-Uni et en Pologne ; le mécanisme dit de Ioannina, qui permet à une minorité d'États de bloquer une décision, sera maintenu ; le passage à la double majorité est retardé à... 2017 ; et symboliquement, le titre de ministre des Affaires étrangères disparaît. Secundo : le nouveau texte confirme, donc conforte, la priorité donnée à l'euro par la Banque centrale européenne à la seule lutte contre l'inflation (article 245bis-2). Dès lors qu'elle a été vaincue depuis deux décennies - et d'abord en France -, cela revient à privilégier la finance et la rente au détriment de la production, de la croissance et des salaires. De surcroît, si la « concurrence libre et non faussée » ne figure plus parmi les objectifs de l'UE, les politiques qui la mettent en oeuvre restent inchangées.
Au final, le seul engagement tenu par le chef de l'État, c'est de priver le peuple de son droit souverain de consentir ou non aux nouvelles institutions européennes qu'il lui propose. Le 29 mai 2005, le peuple français s'est prononcé ; lui seul peut légitimement réexaminer sa position. C'est pour nous la question fondamentale qui est aujourd'hui posée à l'ensemble des responsables politiques, quelle que soit, par ailleurs, l'appréciation qu'ils peuvent porter sur le contenu de ce nouveau traité. Les parlementaires ne doivent pas prêter la main à une confiscation de la souveraineté populaire. Ils en sont les dépositaires, non les propriétaires, et n'ont pas vocation, à leurs corps défendant, à devenir les complices d'un rapt démocratique.
Membres du Parti socialiste, nous sommes inquiets de la tournure que prend en son sein le débat sur le traité corrigé. On reproche suffisamment - et souvent à tort - au PS de ne pas avoir de position claire sur nombre de sujets pour mettre au panier celle consistant à exiger que tout nouveau traité européen fasse l'objet d'un référendum. N'abandonnons pas cette exigence précise et commune au projet socialiste autant qu'au programme présidentiel de Ségolène Royal. Les électeurs de gauche - et pas seulement eux - ne l'accepteraient pas, à juste titre : les socialistes et les républicains se sont toujours abîmés quand ils ont transigé sur les principes démocratiques. Il serait paradoxal, au passage, que les plus vibrionnants partisans de la démocratie participative se convertissent au déni de souveraineté populaire par la magie d'un coup de baguette élyséen. Nous ne pouvons l'imaginer et nous avons bon espoir que la raison finissant par l'emporter, les députés et sénateurs socialistes prennent la seule décision qui s'impose : le boycott, autrement dit la non-participation à ce qui serait une parodie de ratification./.