Pour Dominique Rousseau, professeur de droit public à Montpellier-I, membre de l’Institut universitaire de France, ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature, les atteintes portées aux droits des citoyens et à la séparation des pouvoirs dessinent une société qui désarme ses membres pour mieux les contraindre.
Source : http://www.politis.fr/
Si, comme le dit l’article 16 de la Déclaration de 1789, une société démocratique est une société où les droits des citoyens sont garantis et la séparation des pouvoirs respectée, alors, depuis six mois, depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, la France souffre !
Dans chaque domaine d’activité, par petites touches successives qui, à l’arrivée, font une grosse tache liberticide, la garantie et plus encore, peut-être, l’existence même de droits constitutionnels sont remises en cause : du droit de grève (par le service minimum) au droit à l’éducation (par la privatisation de l’université) en passant par le droit à une répartition équitable de l’impôt (par les exonérations fiscales pour les grandes fortunes)... En six mois, tous les droits ont été touchés. Plus ou moins profondément, mais tous l’ont été de sorte que se dessine un projet global, non visible quand on prend chaque mesure individuellement mais éclatant quand on les relie les unes aux autres : l’établissement d’une société qui se méfie de ses citoyens au point de leur retirer progressivement les droits qui les font devenir, précisément, citoyens. Une société qui préfère les « gens » aux citoyens. Une société qui désarme ses membres pour mieux les contraindre.
Rétrécie dans ses libertés, la société française est aussi tout entière résorbée dans la personne du Président, qui fait revivre une vieille et funeste formule : « L’État, c’est moi ! » La politique étrangère, c’est lui et son conseiller spécial Jean-David Levitte, et non le ministre Kouchner ; l’économie, c’est lui et son conseiller François Pérol, et non la ministre Lagarde ; la culture et les médias, c’est lui et son conseiller Benamou, et non la ministre Albanel ; et au poste de coordination de la politique présidentielle, non pas le Premier ministre mais le secrétaire général de l’Élysée ! Un gouvernement transparent et un Parlement absent, court-circuité par la multiplication de commissions ad hoc, au point que les députés UMP eux-mêmes multiplient les manifestations de mauvaise humeur et sont convoqués deux fois en six mois à l’Élysée pour « être recadrés ». Et à cette confusion des pouvoirs d’État, s’ajoute la confusion au profit du Président des pouvoirs économique, financier et médiatique que symbolise le rachat du journal les Échos par Bernard Arnault.
Six mois de pouvoir, six mois de régression démocratique. Les droits des citoyens et la séparation des pouvoirs sont avalés gloutonnement par un Président boulimique. Ce qui révèle sans doute des troubles de la personnalité du chef mais qui, surtout, ouvre à terme sur une situation conflictuelle grave : l’histoire politique française montre que toute période de confusion et d’exercice personnel des pouvoirs se termine généralement dans la douleur. Car, pour justifier cette absorption de la société et des pouvoirs dans le corps du roi, il ne suffit pas de dire et de répéter que le roi tient sa légitimité de son élection au suffrage universel direct. La qualité démocratique d’un pouvoir ou d’une décision ne tient pas seulement à son origine, divine ou populaire ; elle tient à la manière dont ce pouvoir est exercé ou dont cette décision est prise. C’est-à-dire au respect d’une procédure de délibération collective garantie par la reconnaissance des droits fondamentaux et de la séparation des pouvoirs. L’oubli de ces deux conditions « est la seule cause des malheurs publics et de la corruption des gouvernements », écrivaient les hommes de 1789 dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ils n’avaient pas tort !