« Nous allons vers le tout-pénitentiaire »
Me Barthélémy, présidente du Syndicat des avocats de France, alerte sur les dérives de la loi du 10 août 2007.
Article paru dans l'Humanité.fr du décembre 2007
Que disent les avocats concernant l’application des peines planchers depuis leur instauration, le 10 août 2007 ?
Me Régine Barthélémy. Un premier constat par rapport à cette loi : nous sommes face à des magistrats qui se retrouvent en plein désarroi. Ils doivent, quand ils ne prononcent pas de peine planchers, motiver leur décision « en considération des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur ou de ses garanties d’insertion ou de réinsertion ». Or les gens qui sont jugés en comparution immédiate sont la plupart du temps dans la précarité. C’est là toute la perversité d’un texte qui oblige des juges à expliquer pourquoi ils ne veulent pas l’appliquer en usant d’arguments qui collent difficilement aux cas qui leur sont présentés. Quant aux informations que je peux avoir, elles sont très différentes en fonction des tribunaux. En ce qui concerne Montpellier où j’exerce, on constate une application très restrictive. Mais il n’y a qu’à lire la presse pour voir certaines dérives dramatiques de l’application des peines planchers. Je reste inquiète car, entre les nouvelles générations de juges et ceux actuellement en place, les résistances risquent de s’étioler. Avec le temps, les juges vont finir par lâcher sur les peines planchers.
Diriez-vous que l’instauration de ce texte est synonyme d’une sévérité accrue ?
Il est certain que depuis l’instauration des peines planchers, quand ça tombe, c’est très lourd. Ce que le Syndicat des avocats de France dit depuis la mise en oeuvre de cette loi, c’est qu’elle n’aura aucune influence sur les crimes. Un exemple : pour une récidive de viol, la peine plancher est de cinq ans ferme. Mais vous ne verrez jamais une cour d’assises rendre un verdict en deçà de cette condamnation. En revanche, le texte est dramatique sur les petits délits. Dans les faits, cette loi vise la petite délinquance et les gens précaires, je le redis.
Le rôle de la défense n’est-il pas limité dans ces circonstances ?
En général, l’avocat s’applique pour que son client s’en sorte le moins mal possible en termes de durée de l’enfermement, voire en termes d’absence d’enfermement. Or, aujourd’hui, nous sommes privés, via le mécanisme des peines planchers, de toute une partie de ce que l’on peut plaider. En clair, nous sommes astreints à plaider les garanties de représentation et de personnalité de nos clients. Point barre. À l’origine, la création d’une peine de récidive était destinée à punir celui qui était enfoncé dans la délinquance. Mais aujourd’hui elle condamne des gens qui sont en fin de parcours délictuel, qui se sont reconstruits, qui font une rechute, ou encore qui sont victimes des mauvaises fréquentations dont ils ne se sont pas encore débarrassés.
Que dit cette évolution du droit, qui tend à rogner sur certains principes, sur notre société ?
Nous sommes dans une évolution radicale, on va vers le tout-pénitentiaire, vers un enfermement maximal calqué sur le modèle états-unien. Voyez le budget de la Justice dont se félicite la garde des Sceaux, Rachida Dati : son augmentation va être essentiellement absorbée par l’ouverture de sept nouvelles prisons en 2008.
« Le meilleur moyen de lutter contre la récidive, c’est la certitude que la sanction va tomber », selon Nicolas Sarkozy qui depuis 2003 a tout fait pour faire voter les peines planchers… Quid de l’effet dissuasif de cette loi ?
C’est une illusion totale. C’est une théorie qui n’est pas celle sur laquelle on a développé le droit pénal en France depuis plus d’un siècle. Nous avons évolué vers l’individualisation de la peine, vers la prise en compte de l’individu. Tout le contraire du virage qui vient d’être pris. Tout est mis sur l’enfermement et la sécurité, rien pour la personne et pour la réinsertion. On voit bien d’où vient le modèle et on sait bien quel est l’échec des États-Unis sur le terrain de la lutte contre la délinquance.
Entretien réalisé par S. B.