Propos recueillis par Raphaëlle Bacqué, Thomas Hugues et Stéphane Paoli, publiés dans Le Monde du 12 Décembre 2007
La venue du colonel Kadhafi suscite la polémique jusqu'au sein du gouvernement. Faut-il refuser d'avoir des relations avec un dictateur ?
Si j'avais été président de la République, je n'aurais pas reçu avec le tapis rouge M. Kadhafi. C'est déplacé. Faut-il avoir des relations d'Etat à Etat, y compris avec des régimes dictatoriaux ? La réponse est oui. On ne peut pas faire du commerce uniquement avec des démocraties exemplaires, sinon la balance commerciale serait encore pire que ce qu'elle est. Il y a des échanges commerciaux à avoir avec tous les pays. Mais de là à dérouler le tapis rouge, à recevoir pendant six jours ce monsieur qui était considéré, il y a quelque mois encore, comme un dictateur sanguinaire... J'apprends qu'on va le recevoir à l'Assemblée nationale, qui est, dans le monde, le symbole des droits de l'homme. Je ne suis pas d'accord. Je fais la distinction entre les rapports d'Etat à Etat et cette espèce de super régime donné à Kadhafi qui est absolument inadmissible.
Tony Blair était allé en Libye, Romano Prodi a reçu Kadhafi, les Anglo-Saxons ont des relations diplomatiques suivies avec lui...
Oui, bien sûr. Mais c'est une question de modalités. J'ai l'impression que la France, à travers M. Sarkozy, prend la tête des adorateurs de Kadhafi.
Ne faut-il pas tout faire pour ramener la Libye dans le concert des nations ?
Il faut ramener la Libye et d'autres pays dans le concert des nations. Mais cela ne veut pas dire qu'il faut se transformer, pour reprendre l'expression de Rama Yade, "en une carpette". Tout n'est pas justifié. (...) Regardez ce drame des infirmières. On dit que M. Kadhafi est extraordinaire puisqu'il a fait libérer les infirmières. Oui, mais il les avait fait emprisonner pendant des années. Alors on va oublier l'emprisonnement, les tortures, les viols pendant des années, parce que, sous la pression, il les a libérées ? Il y a là un confusionnisme total.
Y a-t-il un changement de la politique internationale de la France ?
Quand on regarde les dernières positions prises par M. Sarkozy à propos de l'Iran, l'Afghanistan, de l'OTAN, est-ce que la première rupture n'est pas diplomatique ? (...) J'ai été frappé par le voyage de M. Sarkozy aux Etats-Unis, qui était un succès. Ce voyage a marqué les Américains. Le fait qu'un président de la République soit bien reçu par les Américains, c'est très positif. En même temps, faire un discours devant le Congrès des Etats-Unis, pendant une heure, et ne pas prononcer le mot Irak, pose quand même un problème. (...)
Ségolène Royal vous reproche dans son livre un manque d'engagement à ses côtés dans la campagne présidentielle. Vous sentez-vous coupable ?
Non. Je n'ai pas lu le livre.
Elle évoque une alliance possible avec François Bayrou. Seriez-vous favorable à une alliance avec le MoDem ?
Il faut dire ce que l'on fait et faire ce que l'on dit. Si on avait dit aux militants socialistes que le premier ministre ne serait pas socialiste mais centriste, il y aurait eu quelques hoquets.