Par André Tosel, philosophe - publié dans l'Humanité du 22 Décembre 2007.
Le Jaurès qui revient parfois dans nos débats n’est pas celui de l’histoire, mais la médiocre figure forgée par un publiciste tentant d’exploiter le respect légitime dont jouit le grand homme auprès de militants qui rêvent du retour d’une grande politique réellement socialiste.
Ce rêve a été plusieurs fois déçu dans notre histoire par le PS lui-même, qui invoquait Jaurès au moment où il s’éloignait de l’inspiration jaurésienne. Il a été déçu toutes les fois où s’est dénoué le lien qui unissait la défense de la république et les réformes sociales révolutionnaires, où s’est brisé l’espoir d’une synthèse par double dépassement de l’antagonisme entre la classe ouvrière et la bourgeoisie industrielle. Ce rêve a disparu lorsqu’a été abandonnée une politique conduite par un État élargi, fondée sur de puissants services publics nationaux et municipaux, sur un système de coopératives de base. Il s’est dissipé enfin lorsque la défense d’une nation pacifique, fière de son rôle révolutionnaire, s’est inversée en des entreprises coloniales de type impérialiste, et que l’internationalisme s’est dissous dans le plus sanguinaire des bellicismes.
Il importe donc de rappeler quelques éléments du jaurésisme réel. Jaurès n’a jamais refusé les compromis si ceux-ci sanctionnaient une inflexion progressiste du rapport des forces dans la lutte des classes. C’est ainsi qu’il a soutenu l’alliance avec les partis républicains lorsqu’il s’est agi de questions engageant toute la lutte politique dans le sens de la justice (affaire Dreyfus). C’est ainsi qu’il a exploité toutes les occasions possibles d’élargir et de consolider les droits politiques et sociaux des travailleurs : nulle lutte concrète ne l’a pris au dépourvu, son réformisme singulier l’a toujours vu se ranger du côté des travailleurs. Il n’a jamais manipulé les organisations ouvrières pour en faire le simple public passif des travaux du Parlement. C’est ainsi qu’il a été, sans sectarisme antireligieux mais sans faiblesse cléricale, l’artisan majeur des lois fondant la laïcité. C’est ainsi qu’il a fait les plus grands efforts pour une démocratie dispensant une instruction de niveau pour tous les citoyens, à l’abri du marché et des lobbies cléricaux. La politique internationale ? De même que la république ne peut être que sociale, et qu’elle se développe dans un procès continu de réformes se dépassant par degrés en une révolution, de même l’internationalisme se fonde sur la transformation socialiste des États nations souverains. Cet internationalisme ne peut se réduire à l’universalisation de relations économiques marchandes éternisant l’exploitation capitaliste. Il avait foi en une Europe de la culture, riche de sa diversité. La nation n’est pas appelée à se dissoudre dans un internationalisme liquidateur. Elle est appelée à se sublimer dans « la grande nation », une communauté de nations pacifiques et renouvelées par le réformisme révolutionnaire.