Intervention au 2e Forum de la rénovation du PS : "Les socialistes et le marché" (14/12/2007).
1. La question n'est pas de savoir si nous sommes pour ou contre l'économie de marché, mais pour quel type d'économie de marché nous sommes: l'anglo-saxon ? Le scandinave? Nous sommes pour une économie sociale et écologique de marché, c'est-à-dire pour une économie de libre entreprise régulée par la puissance publique, les syndicats et les associations de défense de l'environnement.
Il y a plusieurs types de capitalismes possibles: celui qui existe aux Etats Unis diffère de celui qu'on connaît en Suède; celui qui sévit en Russie ou en Chine n'est pas le même que celui qu'on connaît en France ou en Allemagne. Exploitant les ressources de la démocratie politique, le mouvement ouvrier a façonné le modèle social-démocrate (ou "scandinave" ou "rhénan") en Europe de l'Ouest et du Nord, au siècle dernier.
2. On peut être pour l'économie de marché et contre le libéralisme économique. Ceux qui nous mettent en demeure d'accepter l'économie de marché, nous exhortent en réalité à nous rallier aux médecines libérales : réduire le coût du travail, le niveau de protection sociale et les droits des salariés, l'action de l'Etat. Or, ce n'est pas ainsi que nous parviendrons à mobiliser les salariés pour rétablir notre compétitivité. Si nous voulons mieux spécialiser notre économie et la redéployer vers des industries de pointe et les services à haute valeur ajoutée, nous devons nouer un nouveau pacte social, fondé sur une juste répartition des efforts et des fruits de la croissance.
3. Le libéralisme est un mot-valise qui recouvre des réalités différentes : il faut distinguer entre le libéralisme politique, le libéralisme culturel et le libéralisme économique.
La droite nous dit que ces trois modules forment un bloc et qu'ils ne peuvent pas être dissociés. En réalité, dans la plupart des pays, ils sont bel et bien dissociés. Le Chili de Pinochet était ultra libéral sur le plan économique, ultra dictatorial sur le plan politique, et ultra réactionnaire sur le plan culturel. La Suède social-démocrate est libérale sur le plan politique, permissive sur le plan des mœurs; elle n'est pas libérale, mais social démocrate sur le plan économique : 55% de la richesse produite est prélevée et redistribuée, les droits des salariés (syndiqués à 85%) sont étendus, l'Etat et les syndicats interviennent dans la vie économique et sociale.
Le libéralisme économique, ce n'est pas seulement la défense des droits et des libertés économiques, la liberté d'entreprendre, de gérer, d'échanger, les droits de propriété. Si ce n'était que cela, nous serions tous libéraux sur le plan économique, autant que sur le plan politique et culturel.
Le libéralisme économique contemporain, celui du "Consensus de Washington", est une idéologie qui postule que les marchés et les chefs d'entreprises sont toujours plus intelligents que les gouvernements; que moins l'Etat intervient dans la vie économique et sociale, mieux l'économie et la société se portent...C'est au nom de cette idéologie que Nicolas Sarkozy a rétrocédé 15 milliards d'impôts aux français les plus aisés, qu'il se donne pour objectif de réduire de moitié le nombre de fonctionnaires, qu'il taille dans le droit du travail...
4. Trois formules illustrent ce que doit être la dialectique entre le marché et la société, selon les socialistes. La plus ancienne est celle des sociaux-démocrates suédois : "Le Marché est un bon serviteur, mais c'est un très mauvais maître."
La plus opérationnelle est celle des sociaux démocrates allemands : "Le Marché autant que possible, la puissance publique, autant que nécessaire".
La plus profonde, et non la plus obscure, est celle des socialistes français, reprise par le PSE :"Nous sommes pour l'économie de marché, nous sommes contre une société de marché".
Je partirai de la formulation scandinave : l'"économie de marché est un bon serviteur", car elle est la plus productive, la plus innovante, la plus créatrice de richesses que l'Humanité ait jamais connu. Le vieux Marx, au XIX siècle s'émerveillait déjà de son dynamisme. Et encore, il n'avait rien vu : depuis que la Chine est sortie de l'économie administrée, elle connaît une croissance de 10% par an, depuis 20 ans!
Mais le marché est un mauvais maître : myope, avide, brutal, injuste, irrationnel, imprévisible. Contrairement à ce que disent les libéraux, la libre concurrence des entreprises en vue du profit maximum ne débouche pas sur la meilleure allocation possible des ressources, mais sur la désagrégation de la société et la destruction de la nature.
C'est pourquoi les forces du marché doivent être encadrées, canalisées, régulées, maîtrisées par l'action de la puissance publique, des syndicats et des associations. C'est l'une des définitions possibles du socialisme démocratique : il faut mettre l'économie de marché au service du progrès social, culturel et démocratique. C'est ce que nous avons fait au siècle dernier, avec succès.
5. Avec la globalisation, les rapports de force se sont inversés, le serviteur s'est émancipé et il s'est lui-même érigé en maître. C'est un peu l'histoire du "The Servant", ce très bon film de Joseph Losey.
Notre objectif, c'est d'inverser à nouveau ce rapport : de faire fonctionner à nouveau l'économie au service de la société, et non la société au service de l'économie.
Pour cela, il faut porter le pouvoir politique et le contre pouvoir syndical au même niveau d'internationalisation, de puissance, d'organisation que celui auquel est parvenu le pouvoir économique privé. En deux mots : faire l'Europe puissance et améliorer la gouvernance mondiale dans le cadre de l'ONU.
Le rapport d'Harlem Désir et les nombreuses contributions qu'il a suscités présentent de nombreuses propositions en ce sens.
Il définit les traits d'une autre mondialisation, maitrisée et solidaire, le contenu de l'internationalisme contemporain. Il illustre le propos de Charles Péguy : "L'espérance, disait-il, voit ce qui n'est pas encore, mais qui sera, si nous le voulons./."