Tribune publiée de Laurent Fabius - Libération. fr du 4 janvier 2008.
Le président français aimerait, paraît-il, qu’on le compare à la chancelière allemande, Mme Merkel. Après huit mois d’exercice élyséen, une autre comparaison vient malheureusement plutôt à l’esprit : Sarkozy-Berlusconi. Avec le berlusconisme, le sarkozysme partage en effet au moins trois traits essentiels.
D’abord, le rapprochement entre la droite et l’extrême droite. N’oublions pas que c’est ce rapprochement qui explique les résultats électoraux dans la France actuelle comme dans l’Italie d’hier. Certains s’en réjouissent, y voyant la réintroduction dans le champ républicain d’un électorat autrefois latéral. Voire ! C’est oublier que l’opération comporte un prix lourd : tests ADN requis pour filtrer les étrangers, chasse aux sans-papiers jusque dans les écoles, rupture désormais marquée avec notre tradition laïque, approche simpliste de la situation des banlieues - sur ces points, le président français se retrouve plus proche des thèses du Front national que du gaullisme, qu’il a manifestement passé par-dessus bord.
En politique extérieure aussi, beaucoup d’aspects rapprochent M. Sarkozy et l’ancien président du Conseil italien. Nous sommes - et c’est très bien ainsi - les amis et les alliés du peuple américain. Cette amitié et cette alliance ne justifient pas un quasi-alignement sur la politique bushiste, ni en Irak ni en Iran. Elles n’impliquent pas davantage la banalisation programmée de la position française au sein de l’Otan. Avec, en prime, une certaine complaisance concernant des atteintes aux droits de l’homme.
Enfin, et surtout, M. Berlusconi a bâti son pouvoir personnel sur sa domination des médias, M. Sarkozy emprunte le même chemin. Sans doute ne possède-t-il pas lui-même directement ces médias, c’est l’affaire de quelques proches. Mais le système est tout autant cadenassé et antidémocratique.
C’est bien un régime nouveau qui a commencé de s’établir où s’additionnent tristement révérence et concentration autour de certaines puissances d’argent, confusion entre le peuple et le people, mépris pour les contrepoids traditionnels de la démocratie.
Certes, le président français, comme son alter ego italien, ne manque ni d’énergie ni de talents. Certes, sa victoire n’a été possible que par la conjonction de la lassitude envers l’immobilisme précédent et de la défiance envers la gauche. Une gauche divisée, souvent porteuse, non pas comme elle le devrait d’une vision mobilisatrice pour l’Europe et pour la France, mais d’une alternative décevante entre télévangéliste égotiste et arrangements mollassons.
Mon pronostic ? Le berluskozysme français n’apportera pas plus de résultats économiques et sociaux que son cousin transalpin. L’innovation industrielle, sociale, écologique, démocratique, culturelle, qui serait indispensable à notre pays, ne sera pas au rendez-vous.
Le pouvoir d’achat du plus grand nombre, salariés et retraités, stagnera, quand il ne régressera pas. Les chiffres du chômage ne reculeront que sous l’effet mécanique de la démographie.
Et les quatre grandes menaces mondiales - terroriste, nucléaire, climatique, financière - feront l’objet sans doute de moulinets médiatiques, mais, je le crains, d’aucune initiative vraiment décisive du président français.
Quant au débauchage de quelques personnalités autrefois de gauche attirées par l’odeur de la soupe, ce n’est pas lui qui changera la donne.
Faut-il alors se décourager ? Certainement pas ! Le début d’année est propice aux bonnes résolutions. Je formule celle-ci, avec détermination : face au berluskozysme, il est temps de relever le défi… et la tête.