Par Pierre Marcelle, Liberation.fr du 24 janvier 2008
Vous démontiez la machine… «Même parvenu, Notre précieux Souverain ne trouva point la paix en lui-même, tant il restait secoué par des nervosités. Qui l’a vu fixe et arrêté ? Il ne bougeait que par ressorts. Si vous le retardiez dans sa course, vous démontiez la machine.» Sur cet extrait - auquel M. de La Bruyère (celui des Caractères) prête la plume - s’ouvre la Chronique du règne de Nicolas Ier, grand petit ouvrage de Patrick Rambaud, dont l’opportunité promet un succès considérable autant qu’assassin. (Ou ce serait à n’y rien comprendre.)
Le livre vient en effet à l’instant même que des sondeurs, qui ne furent pourtant jamais cruels au Prince, actent les limites éclatantes de son volontarisme, de son enflure et de son inanité. Merveilleuse coïncidence, en vérité, en laquelle la tentation est grande de lire une morale, tant la langue pastichée du grand siècle s’y révèle efficace pour mettre au jour la parlure infiniment vulgaire de la cour et des courtisans, et réduire celle-ci et ceux-là à leur clinquant néant.
De Louxor à Sartrouville
On murmure que, tout décontenancé par le revers de sa fortune dans l’opinion, le président de nos destinées a sollicité force conseils et stratèges en communication afin d’établir ce qui, dans la sienne, ne fonctionne pas. Soucieux d’économiser la phynance publique, on lui aurait plutôt recommandé la lecture de Rambaud, si Rambaud n’établissait qu’il ne lit qu’à grand-peine. Mais Rambaud est méchant. Plus charitablement, disons que lire autre chose que la prose de son approximatif porte-plume Guaino, Nicolas Sarkozy n’aime guère. Ce qu’il aime, notre abrupt président, ce sont les fondamentaux qui le rassurent, et qu’instinctivement il repartait cette semaine cultiver avec sa matraque de pèlerin. Dimanche à Boulogne contre Bruxelles et ses quotas de pêche, mardi à Pau contre les assassins que, même déments, il convient de juger, et dès lundi contre la racaille au commissariat de Sartrouville.
Sartrouville, où n’était pas Fadela Amara, égarée mardi à Vaulx-en-Velin, flanquée de Boutin en duègne pour la marquer à la jupe-culotte. C’est pourtant à Sartrouville que le plan banlieue dit «antiglandouille» d’Amara a trouvé un écho dans le dogme pas vraiment neuf du «se lever le matin», avatar de l’originel «travailler plus» afin de très aléatoirement gagner plus, comme l’établit la très opaque et fantaisiste comptabilité du pouvoir d’achat augmenté par les heures supplémentaires (Libération du 22 janvier).
Illisible «plan banlieue» qui n’a plus rien de Marshall, invisible pouvoir d’achat (que la fête du slip, sur les marchés financiers, ne devrait pas de sitôt ressusciter), et incompréhensible diplomatie qui, après le Vénézuélien Chávez, flatte son homologue colombien Uribe et meilleur ennemi, pour que ne soit pas laissé en plan le chantier Betancourt.
En cette quadrature du cercle plus touffue qu’une jungle, il est heureux que, signant des tribunes contre les bombes à sous-munitions, Kouchner à quai, fût-il d’Orsay, se découvre encore une raison de se prendre pour le ministre des Affaires étrangères.
C’est la faute à la presse
C’est établi, l’année 2008 commence sous de piteux auspices, et il n’est pas certain que les détours fébriles en province du velléitaire élyséen l’ensoleillent. L’important, à Boulogne, à Sartrouville, à Pau, à Bordeaux ou partout, reste de promettre et passer à autre chose. En priant, quand les promesses les plus fumeuses partent en quenouille.
Exit, donc, le bling-bling. Mais quel bling-bling ? En interview, en débat ou en meeting, «le Président a voulu» était jusqu’ici l’antienne introductive de toute prestation courtisane ; depuis que l’opinion est contraire, une autre ritournelle l’a remplacée, selon laquelle le trop-plein de vie privée de Nicolas Sarkozy ne serait pas de son fait, mais de celui d’une presse avide et vicieuse. Cette doxa, dont l’intéressé donna le la lors de ses vœux à la presse, sous-entend assez la volonté de la mater.
Le Monde de Minc
Au Monde, l’ineffable Alain Minc ferait bien ce boulot. Il parlait jeudi dernier, dans ces pages, du président de la Société des rédacteurs, qui le déposa, comme un surgé d’un «meneur» soixante-huitard («Il existe des dynamiques d’assemblées…»), et prétendait ne plier ses gaules que si Jean-Michel Dumay en faisait de même ! Tant il est vrai que, selon Eric le Boucher, aboyeur de Minc, «l’indépendance des rédacteurs du Monde n’était aucunement menacée».
Au Figaro, jouant de ses grands ciseaux, Mougeotte approuvait…