Avec la création du ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, avez-vous enregistré des modifications dans la politique gouvernementale vis-à-vis des étrangers ?
Damien Nantes. Il y n’a pas de rupture, mais une aggravation de la politique engagée depuis 2003. L’année dernière, nous avons eu un nouveau durcissement législatif sur le regroupement familial, sur les conjoints de Français, sur l’apprentissage de la langue, dans le droit fil de la politique menée depuis 2003. Dans la politique d’expulsion, comme les objectifs augmentent, nous sommes aussi dans un durcissement, parce qu’il est de plus en plus difficile de trouver des étrangers à expulser. D’où les interpellations à domicile, le placement de près de trois cents mineurs en centre de rétention, les convocations piégées dans les commissariats, les arrestations massives au faciès, qu’on a bien du mal à ne pas qualifier de rafles…
L’an dernier, la police avait pour ordre d’arrêter six personnes conduites en rétention avec l’espoir de réussir à en expulser une. Visiblement, les objectifs n’ont pas été atteints. Ils sont donc - aggravés pour cette année. Qu’en pensez-vous ?
Fixer des quotas arbitrairement est - absurde, d’autant que ces chiffres ne correspondent à rien : ils n’obéissent à aucune logique politique, si ce n’est celle de l’affichage. C’est absurde mais aussi dangereux, parce qu’on assiste à un glissement vers des arrestations de plus en plus contestables et à une application de plus en plus mécanique de la loi par des fonctionnaires qui subissent des pressions pour obtenir les résultats demandés. Il y a de plus en plus de dossiers et de moins en moins de temps pour les étudier sereinement. Les situations individuelles des gens sont oubliées au profit d’un dossier de papier. Les « 25 000 », ce ne sont pas 25 000 sans-papiers, mais 25 000 histoires humaines différentes, des personnes qui ont construit leur vie ici, une vie de famille, une vie de couple, une vie de travail, même difficile. Des gens qui sont menacés dans leur pays, d’autres qui sont ici depuis plus d’une dizaine d’années, qui paient des impôts, qui ne demandent qu’à vivre en paix et n’ont rien de délinquants, un homme ou une femme dont le conjoint est français, un enfant ou un adolescent qui ne connaît rien du pays où on veut le renvoyer. C’est cela la réalité. Et ce sont leurs droits fondamentaux que bafoue cette politique. N’oublions pas enfin qu’en outremer, nous sommes devant un droit dérogatoire, avec des conditions de rétention et de reconduite dramatiques, alors que l’on revendique ces territoires comme étant la France. Mais l’outremer, c’est loin, et la dénonciation de ce qui s’y passe est nettement moins aisée qu’en métropole.
Vous avez fait allusion aux pressions sur les fonctionnaires. Cela aussi est le signe d’une aggravation du système…
Nous sommes en face d’une politique de délation d’un côté, et de répression de la solidarité de l’autre. C’est la même logique politique qui aboutit à menacer les travailleurs sociaux. C’est une situation que nous vivons, alors que nous, bénévoles ou salariés, faisons un travail d’accompagnement social et que ceux qui le font au sein d’institutions publiques subissent encore plus que nous. On nous demande de jouer un rôle d’auxiliaire de police et ce n’est pas acceptable. C’est la première fois cette année que l’on a vu la police et un procureur poursuivre deux responsables d’une association dont la mission d’accompagnement a été définie par l’État. Nous avons d’ailleurs signé la pétition lancée par France Terre d’asile. Nous sommes, depuis plusieurs années, dans un dévoiement de la loi contre l’aide à l’entrée et au séjour irréguliers, laquelle devait lutter contre les filières, ce qui peut s’entendre. Mais quand la loi est utilisée contre des personnes qui, à titre individuel ou associatif, aident sincèrement des gens en difficulté, c’est une criminalisation inacceptable.
En ce mois de janvier, le Parlement européen doit se prononcer sur un texte portant à 18 mois la durée légale de la rétention, texte que vous qualifiez de « directive de la honte ». Pensez-vous qu’une fois adopté, ce texte sera transposé dans le droit français ?
Tout d’abord nous avons l’espoir de réussir à alerter suffisamment les députés européens pour qu’ils prennent conscience de la gravité des dispositions qui leur sont proposées. Aujourd’hui, en droit français, l’enfermement en centre de rétention est défini comme préparatoire à une expulsion. Avec ce texte et ses dix-huit mois d’enfermement, on passerait à une tout autre conception : enfermer pour enfermer, du demandeur d’asile à l’émigré économique. Cela devient un mode de gestion des phénomènes migratoires. De même, imaginez ce que peuvent être cinq ans d’interdiction du territoire pour un conjoint de Français. Où est le droit de vivre en famille ? Tout cela est pour nous insupportable. Ces gens ne sont pas des criminels, ce sont des victimes, des gens déjà très fragilisés, à qui on va faire vivre une situation pathogène après une autre tout aussi traumatisante. On sera en totale violation des droits les plus élémentaires et on ne règlera absolument pas le problème des flux migratoires.