Entretien avec Fabienne Nicolas, déléguée du Syndicat de la magistrature, réalisé par ANISSA BENTAOUNE pour Libération.fr du 21 Mars 2008.
Fabienne Nicolas , déléguée du Syndicat de la magistrature (SM) pour le ressort de la cour d’appel de Nancy et juge d’instruction à Nancy, s’explique sur l’appel à la grève lancé hier par le SM, couplé à «la nuit des libertés» organisée par de nombreuses associations contre la loi sur la rétention de sûreté.
Quelle est l’origine de cette grève lancée par le SM ?
C’est une grève liée à «la nuit des libertés», organisée dans les villes de Marseille, Nancy, et Paris. Cette initiative veut exprimer une protestation contre une certaine augmentation des textes qui posent des problèmes concrets, surtout parce que l’on met en place des lois sans moyens supplémentaires.
Que dire de la lettre de la chancellerie adressée à la présidente du SM, lui rappelant que «toute manifestation d’hostilité» au gouvernement est interdite aux magistrats ?
La lettre envoyée par la Chancellerie est inquiétante. Cela signifie que les magistrats doivent se réduire au silence. Il y a un essai d’intimidation. Pourquoi réduire la parole ? Cela veut donc dire qu’il y a des critiques intéressantes à formuler. A l’heure actuelle, les seuls magistrats qui prennent la parole le font à titre syndical.
Comment vivez-vous l’ensemble de ces réformes engagées par le gouvernement, et quelles en sont les répercussions sur le statut de magistrat et, plus particulièrement, votre travail au quotidien ?
Depuis les années 2000, il y a une remise en cause de l’indépendance des magistrats, et un non-respect inquiétant de la séparation des pouvoirs ; la responsabilité des magistrats ne doit pas être un leitmotiv. Cela n’a pas fonctionné comme ça depuis la Libération. Il n’y a plus cette notion d’indépendance qui était présente à cette époque. Cela provoque des répercutions sur le contrôle des parquets. Ce que l’on doit faire maintenant, c’est du chiffre, au détriment d’une justice où l’on ne poursuit plus que les «petits» car c’est «statistiquement rentable».
Que représente la «nuit des libertés» pour vous ?
C’est un moyen d’échanger avec nos concitoyens. Il y a des inquiétudes par rapport à la loi sur la rétention de sûreté, une inquiétude légitime car elle touche à des principes fondamentaux. On peut critiquer la décision du Conseil constitutionnel qui a validé cette loi. De plus, il y a un paradoxe avec l’affaire Outreau puisqu’il y a aujourd’hui une remise en cause de la présomption d’innocence. Je ne vois pas comment un juriste peut mettre ça en place. Certes, il est difficile de trouver des moyens, mais le système juridique français pourrait limiter la récidive.
Il n’y a jamais de certitude en matière humaine, et cette loi est fondée sur les notions positivistes, qui dressaient des catégories de criminels, et qui ont entraîné des catastrophes par le passé. Le problème lorsqu’on fait des brèches dans l’Etat de droit est de savoir où on s’arrête.