Tribune de Georges Sarre, premier secrétaire du Mouvement républicain et citoyen, publiée dans Libération.fr du 17 Mars 2008.
Le Kosovo est désormais indépendant, il s’est proclamé tel de manière unilatérale, mais en étant presque immédiatement reconnu par les Etats-Unis et une vingtaine de pays membres de l’Union européenne, dont la France en première position. Dans l’euphorie médiatique générale qui a prévalu autour du 17 février, tout entière construite autour de la légitimité du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et de l’avenir radieux qui attendait le nouvel Etat, déjà demandeur de son entrée dans l’Union européenne, on a oublié quelques principes majeurs du droit international et, aussi, du bon sens. Rappelons-les.
Tout d’abord, et quoi qu’en dise Bruxelles, cette déclaration unilatérale d’indépendance est une remise en cause du principe de l’intangibilité des frontières, qui a permis de gérer sans crise majeure la décomposition de l’ancien bloc soviétique. Le remettre en cause, c’est ouvrir une boîte de Pandore gigantesque, dans tous les pays ethniquement composites des Balkans, d’Europe et du monde : le très atlantiste président roumain Traian Basescu ne s’y est pas trompé, qui a refusé de reconnaître le Kosovo, en raison de l’irrédentisme de la minorité hongroise. Ensuite, l’effet déstabilisateur de l’accession du Kosovo au rang d’Etat tient au fait qu’il s’est séparé de la Serbie sur une base ethnique : c’est évidemment la majorité albanaise qui a porté la revendication indépendantiste. Or si chaque groupe ethnico-linguistique choisit de redessiner la carte de l’Europe, les tensions et les conflits risquent de se multiplier : la Hongrie des «64 comtés», que veulent reformer les ultranationalistes hongrois, va de l’Ukraine à l’Adriatique, et la «Grande Albanie» engloberait une bonne moitié de la Macédoine !
L’Europe des ethnies est un danger, parce qu’elle signifie renoncer à ce que des individus d’origine différente, de religion différente puissent vivre ensemble sur un même territoire, par un pacte auquel ils adhèrent volontairement, et qui repose sur des valeurs citoyennes. La soutenir signifie aussi ignorer la situation des nombreuses familles ethniquement «mixtes» et des minorités sans Etat, en l’espèce, dans les Balkans, principalement les Roms.
Egalement, l’honnêteté intellectuelle minimum impose de dire que si le Kosovo est une province majoritairement peuplée d’Albanais, les Serbes y sont présents depuis le XIe siècle, de sorte qu’on ne peut, d’un revers de la main, écarter leur sentiment d’y être aussi chez eux : on ne fonde pas une légitimité étatique sur le droit du dernier arrivant, pas plus que sur celui du premier. Il faut également ne pas avoir d’illusions sur la volonté du nouvel Etat de s’arrimer à l’Union européenne, et qui serait prouvée entre autres par l’adoption d’un drapeau quasi copie conforme de celui de l’Union, alors que dans les rues de Pristina, la foule défilait derrière… le drapeau rouge à aigle noir bicéphale, celui de l’Albanie. Il faut aussi réaliser que le Kosovo veut l’adhésion à l’Union européenne parce qu’elle est censée amener la prospérité économique, mais que pour la sécurité et les alliances stratégiques, il n’a pas choisi l’Europe, mais le parapluie de l’Otan et des Etats-Unis.
Le droit international est bafoué. D’ores et déjà, la Russie affirme clairement son soutien ferme à la Serbie, ce qui est dans l’ordre des choses et engendre une forte tension dans toute l’Europe. Jusqu’où cette politique ira-t-elle ? Ce qui a été fait est lourd de menaces, c’est une bombe à retardement qui amorce une tragédie au début du nouveau siècle.