Interview de Laurent Fabius réalisée par Philippe Martinat parue dans Le Parisien.fr (avril 2008).
Quel jugement portez-vous sur l’action du gouvernement ?
C’est le grand cafouillage. Après les zig-zags gouvernementaux sur la présence à la cérémonie d’inauguration des JO de Pékin, après Mme Kociusko-Morizet dénonçant « la lâcheté » de ses collègues, après le « candidat de la hausse du pouvoir d’achat » transformé en Président du tour de vis, voila l’embrouillamini sur la suppression de la carte familles nombreuses. M. Sarkozy exerce une omniprésidence mais une omniprésidence brouillonne et de courte vue. Avec une faute originelle, les 15 milliards d’euros du paquet fiscal - que j’appelle le « boulet fiscal ». Il y a un problème fondamental d’orientations initiales injustes et de compétence des dirigeants.
La rigueur ne s’imposerait-t-elle pas à n’importe quelle majorité ?
Le sérieux est une chose, la régression en est une autre ! Parmi les 166 propositions de la Révision générale des politiques publiques (RGPP), celles qui sont de bon sens sont d’ampleur limitée, d’autres sont absurdes comme la baisse des plafonds HLM alors que dans le secteur privé on ne trouve rien à des prix abordables ; ou encore la réduction aveuglément uniforme du nombre des fonctionnaires ; et au total, l’ensemble de ces mesures ne produira pas les résultats financiers escomptés.
Redoutez-vous une contre-offensive du gouvernement ?
Elle a commencé. Sa prochaine cible devrait être à la fois le social et les collectivités locales. Il essaiera d’alourdir les compétences des collectivités locales et d’assécher leurs ressources pour les accuser ensuite de tous les maux, d’autant plus que beaucoup sont dirigées par la gauche. Cette manoeuvre, nous ne devons pas l’accepter.
C’est aussi le sens des projets sur le Grand Paris ?
Pour l’instant, ces projets sont flous mais eux aussi probablement pas dénués d’arrières-pensées électorales. Je me rappelle ce que disait avec humour F. Mitterrand : « On peut tenter toutes les manipulations, on ne remplacera jamais le fait de ne pas avoir assez d’électeurs »...
Le prochain congrès du PS sera-t-il vraiment un congrès d’idées ?
Je l’espère, car il faudra trancher plusieurs sujets de fond. Doit-on, comme je le pense, maintenir la stratégie de rassemblement à gauche tout en l’élargissant, ou bien l’abandonner ? Comment adapter nos propositions en tenant compte du massif défi écologique, de la redistribution indispensable des richesses ou encore de l’allongement de la vie ? Les Français attendent de nous une solide critique du gouvernement mais surtout que nous montrions notre capacité à proposer et demain à gouverner. Le choix des nouveaux dirigeants socialistes se posera également. Ce serait une erreur de confondre l’échéance immédiate du Congrès avec l’échéance présidentielle de 2012.
Quel rôle entendez-vous jouer ?
Aider à reconstruire la gauche et à proposer des solutions aux problèmes du pays. Je ne suis pas candidat pour ce qui relève du superficiel et du bling-bling ; en revanche, si on veut une politique du sérieux et de la compétence, cela m’intéresse.
Y compris par rapport au PS ?
Je ne brigue rien et ne souhaite pas me mêler de la cuisine interne.
Vous ne signerez pas de motion ?
J’apporterai certainement des propositions. La réflexion engagée par le pôle des reconstructeurs me parait utile.
Vous ne perdez pas de vue 2012...
A condition, je le répète, que le besoin de compétence et de pondération soit vraiment ressenti. Actuellement, ce n’est pas la mode. Cela pourrait le redevenir.
Comment jugez-vous l’inflation de candidatures au poste de Premier secrétaire ?
Avec le sourire : je serais embarrassé tout de même qu’il y ait à la fin plus de candidats... que de militants !
Ségolène Royal a relancé sa méthode participative...
Ce que les Français attendent des socialistes, ce sont surtout des réponses convaincantes. Je souhaite que le PS se consacre à cela et pas à se regarder le nombril ni à se déchirer. Les Français ont besoin d’une gauche forte, imaginative et unie. C’est cela qui m’intéresse.