Entretien réalisé par Sébastien Crépel dans l’édition de l’Humanité du mardi 1er avril 2008
Quelle appréciation portez-vous sur ce projet de loi et sur l’utilisation des OGM ?
Elle ne peut être dissociée du mode de développement alternatif que nous souhaitons coélaborer avec le plus grand nombre : quelle agriculture voulons-nous pour répondre aux besoins alimentaires de la population mondiale ?
Quel environnement comme espace de vie pour les habitants de cette planète ? L’utilisation actuelle des OGM en agriculture ne répond pas à notre volonté de maîtriser l’alimentation avec une production agricole de qualité respectueuse de la santé humaine et de l’environnement. Sur le plan mondial et dans leur utilisation agricole, les OGM sont aujourd’hui un outil de domination économique entre les mains des firmes agrobiotechnologiques et semencières qui construisent, avec le régime des brevets, une véritable machine de guerre. Les pouvoirs de cette arme alimentaire sont colossaux alors qu’approche l’heure de la fracture alimentaire et des difficultés à nourrir la planète. L’emblématique Monsanto en est une expression terrifiante. Cela ne signifie pas que les OGM sont à rejeter globalement comme une forme de monstre destructeur de l’humanité. Leur apport est déjà considérable, notamment en pharmacie où l’usage de la transgénèse est massif. Pas davantage pour les OGM que pour le nucléaire, il ne faut identifier une technologie issue du progrès scientifique à l’usage qui en est fait.
Qu’en est-il des OGM agricoles, objet central du texte ?
Aujourd’hui, les produits OGM ne sont pas d’un apport suffisant pour contrebalancer les dépendances économiques qu’ils génèrent, les problèmes environnementaux qu’ils créent et les innovations agronomiques qu’ils bloquent. Et leur fonctionnalité actuelle, qui se borne à celle des pesticides, ne permettra pas de faire évoluer les méthodes culturales pour des paysans vivant dignement de leur travail. Quant au maïs MON 810, dont l’autorisation est suspendue, peut-on affirmer qu’il est d’un bénéfice durable pour les producteurs ? Je n’affirme pas pour autant, de façon péremptoire, que la transgénèse ne sera pas, dans quelques décennies, d’un apport réel pour mieux nourrir la planète en élargissant les possibilités de culture dans les milieux naturels hostiles ou en améliorant les capacités nutritionnelles d’un produit alimentaire. Encore faudrait-il qu’il s’agisse d’innovations variétales adaptées à chaque territoire, protectrices de la biodiversité et intégrées à une vision non mercantile de la production agricole ! Mais je ne dis surtout pas non plus que les OGM permettront de résou- dre les problèmes grandissants de la faim dans le monde, dont les causes dépassent largement les seules conditions géographiques et agronomiques. Tout au long du processus de découverte scientifique, et particulièrement dans le domaine des biotechnologies, c’est aux citoyens, et à leurs représentants politiques, de prendre position en évaluant l’intérêt pour la société d’utiliser tel ou tel apport de la recherche. Ce devrait être un objectif prioritaire de ce projet de loi.
Ce n’est donc pas le cas du texte qui vous est soumis ?
Il introduit en effet l’expertise sociétale et l’avis citoyen dans le Haut Conseil des biotechnologies, en créant un comité de la société civile au côté d’un comité scientifique. Malheureusement, la majorité a rejeté en commission les amendements que nous avons présentés pour faire évoluer le texte et permettre que ce collège de la société civile puisse bien remplir son rôle. En ce qui concerne le comité scientifique, la diversité des opinions n’est pas assurée avec un système de cooptation ne garantissant pas la présence de scientifiques porteurs d’approches différentes.
Quelle est votre position sur la coexistence des cultures et la liberté de consommer avec ou sans OGM ?
La volonté des députés communistes et républicains est claire : aller vers la transparence la plus complète sur tous les aspects de la loi. En ce qui concerne la coexistence des cultures, notre conviction est que le texte doit donner plus de garanties. Je pense particulièrement aux agriculteurs bio très attachés à leur cahier des charges et à l’absence de toute trace d’OGM dans leur production, mais aussi aux apiculteurs, extrêmement inquiets quant à la contamination du pollen. Or, nous avons constaté, en commission, une totale fermeture du rapporteur et le rejet systématique de nos amendements. Au contraire, un jeu bien construit au sein de la majorité ouvre la porte à des amendements qui atténuent les contraintes techniques de production à respecter pour les plantes OGM. Les députés de la majorité vont-ils mettre les dernières touches au travail de siphonnage des sénateurs UMP en première lecture pour vider cette loi de ses aspects positifs et l’éloigner encore davantage des conclusions du Grenelle de l’environnement ? Quant à la traçabilité et l’étiquetage des produits, nous sommes là aussi favorables à la transparence la plus complète. Certes, la réglementation européenne a placé artificiellement, et sans doute provisoirement, la barre à 0,9 % de présence fortuite d’OGM dans un produit pour qu’il soit étiqueté comme contenant des OGM. Mais nous pensons que le consommateur devrait savoir réellement ce qu’il mange avec une information plus confor- me à la réalité. Cette question est l’enjeu central des débats. Elle conditionne la possibilité ou non de la coexistence des cultures OGM et conventionnelles : est-elle possible si la classification est fixée au niveau de détection scientifique, aujourd’hui bien en deçà de 0,1 % ? C’est toute la difficulté et les contradictions d’un texte qui s’appuie sur le fait qu’un produit peut être non OGM sans être à zéro OGM !
Et sur les cultures OGM en plein champ ?
Elle fait l’objet d’appréciations différentes au regard de l’interprétation que l’on a du principe de précaution. Sur les cultures commerciales, nous disons nettement qu’elles sont à proscrire en l’état actuel des connaissances. Nous pensons qu’elles produiront plus d’effets négatifs sur les autres techniques culturales et la biodiversité sans apporter de bénéfices économiques pour les agriculteurs. Nous mènerons bataille sur les articles de la loi pour les interdire, puis, si nous ne sommes pas entendus, pour limiter les conséquences négatives de leur développement.
Qu’en est-il de la recherche ?
Les processus de recherche publique ne doivent pas être bloqués a priori en interdisant systématiquement de procéder à des essais en plein champ. Mais ce type de recherche en conditions réelles doit être très exceptionnel et dûment justifié quant à sa nécessité qui doit se limiter à évaluer objectivement la réalité du risque sur l’environnement, en matière de contamination de parcelles avoisinantes et de réaction du milieu naturel. Et il est indispensable que tout passage au champ soit soumis au contrôle citoyen et accompagné d’un protocole extrêmement strict pour contenir les éventuels flux de gènes et neutraliser toute conséquence négative sur l’environnement. Les institutions de recherche publique indépendantes des financements privés sont les seules à avoir la légitimité pour conduire ces essais. L’enjeu est non seulement de maîtriser une recherche sans lien avec les compagnies semencières pour un progrès agronomique dégagé de la brevetabilité du vivant et au service de tous, mais aussi de développer notre potentiel d’expertise. Pour cela, il faut donner à la recherche publique les moyens nécessaires.