Alors que le Sénat entame aujourd'hui, en deuxième lecture, l'examen du projet de loi sur les OGM, quarante personnalités — scientifiques, acteurs, écrivains, chanteurs et représentants d'ONG — adressent une lettre ouverte à François Fillon publiée par Libération, appelant à refuser que des «logiques politiciennes viennent polluer l'intérêt général, la protection de l'environnement et la sérénité des consommateurs».
Chargé de campagne OGM à Greenpeace France, Arnaud Apoteker, qui a participé à la rédaction de cette lettre, commente l'évolution du projet de loi sur les cultures transgéniques.
Qu'attendez vous collectivement de cette lettre ouverte ?
Signée par de nombreuses personnes de la socité civile, aux côtés des représentants de France Nature Environnement, Greenpeace et la Fondation Nicolas-Hulot, elle vise à montrer à François Fillon et aux sénateurs qu'il y a une grande partie de la population qui veut que cette loi protège les productions agricoles sans OGM, les produits AOC ou de terroir, et qu'il ne s'agit pas que d'une lubie de quelques écologistes.
Elle réclame notamment le maintien de l'amendement 252, déposé par le député communiste André Chassaigne. Pourquoi ?
Cet amendement prévoit de garantir très précisément «la protection des structures agricoles, des écosystèmes locaux et des filières de production et commerciales qualifiées sans OGM». Il a été introduit dans l'article 1 du projet de loi et, à ce titre, il est très important pour l'esprit même de la loi. Il est essentiel en effet que la loi maintienne la liberté d'entreprendre pour tous ceux qui refusent l'agriculture industrielle. Cet amendement est donc à la fois majeur au niveau de l'esprit de la loi mais insuffisant à lui seul : il faudrait que la loi mette en oeuvre cette protection avec tous les autres articles.
Ce n'est pas le cas?
Non, la preuve la plus évidente que le projet de loi ne répond pas aux besoins de protection, c'est qu'elle ne donne toujours aucune définition du «sans OGM». Alors que dans l'esprit de tout un chacun, cela signifie qu'il n'y a absolument pas d'OGM, le texte confond seuil d'étiquetage dans l'alimentation (0,9%) et seuil de contamination. En outre, les mesures techniques qui permettraient d'empêcher la contamination n'ont pas été définies alors qu'elles sont capitales pour mesurer l'impact de cette loi. Par exemple, choisir une distance d'isolement de 15 mètres entre une parcelle Ogm et une parcelle sans, c'est quand même très différent d'une distance de 300 mètres ! Même si pour les scientifiques, la coexistence est de toute façon impossible parce que la contamination est inévitable.
De même, le texte ne prend pas en compte sérieusement, au delà de la pollinisation, les autres facteurs potentiels de contamination, comme les camions qui transportent les céréales, les moissonneuses batteuses, les silos, les poussières ou les erreurs humaines de manipulation des semences... Enfin, sur la question de la responsabilité, la loi est très défaillante. Elle ne concerne que l'agriculteur dont le champ est voisin de la parcelle OGM. En plus c'est à l'agriculteur d'apporter la preuve que son champ a été contaminé, de réaliser les analyses adéquates et encore faut-il que cette contamination dépasse 0,9% ! C'est donc au pollué d'apporter la preuve de la contamination !
Mais alors cela vaut-il la peine de défendre l'amendement Chassaigne ?
C'est très difficile pour des ONG de défendre un amendement dans un texte qu'on juge mauvais. Dès l'origine, le projet de loi issu du Grenelle de l'environnement et arrivé au Sénat en février n'était pas satisfaisant car il légalisait la contamination en mettant sur le même plan le fait de produire avec ou sans OGM.
Le texte s'est aggravé avec le passage au Sénat et à l'Assemblée. Les amendements adoptés facilitent le developpement des cultures d'OGM, partout, sur tout le territoire, y compris les espaces protégés et même à l'insu du consommateur.
Mais il faut être pragmatique. On ne peut rester sans loi sur les OGM, sans information obligatoire sur les parcelles OGM en France par exemple. En outre, il y a des sénateurs comme Fabienne Keller qui ont l'intention de déposer des amendements allant dans le sens du principe de précaution.
N'est-ce pas amer d'en arriver là après tout le travail du Grenelle de l'environnement ?
Clairement, les parlementaires ont fait un affront au travail du Grenelle , et le projet de loi actuel est en contradiction avec les conclusions des groupes de travail qui avaient réclamé la liberté et le droit de produire et consommer sans OGM.
Néanmoins, on a obtenu la suspension de la culture en France du maïs Mon810, et il n'y a pas d'autre OGM cultivé en Europe. Cela nous donne un peu de répit.
En l'état, le projet de loi n'est pas bon. Cela signifie que nous allons devoir porter le débat au niveau européen. En attendant, nous suivons les débats dès aujourd'hui au Sénat, car les sénateurs devront être comptables de leurs décisions. Contrairement à ce qui s 'est passé dans le dossier de l'amiante ou du sang contaminé, les parlementaires ne pourront pas dire qu'on ne savait pas qu'il y avait des doutes sur l'innocuité des OGM. Et les récents cafouillages ont montré à quel point ce sujet est sensible dans la société.