Face à un gouvernement ravageur, où est la Gauche? On l'attend pourtant sur des sujets d'envergure, et pas seulement dans la lutte pour le Tibet ou pour Ingrid: logement, réformes, pouvoir d'achat... Petite revue des thèmes à aborder pour exister.
Jacques Gaillard, Marianne.fr du 14 Avril 2008
En dehors de quelques potins sur les préparatifs du futur Congrès, les seules nouvelles que j'aie eues, ces derniers temps, d'une action politique à Gauche, étaient le dépôt par Laurent Fabius d'un projet de loi sur l'euthanasie. Bien sûr, il y a eu la motion de censure : le motif en était d'une sagesse extrême et d'une habileté psychologique à vous couper le souffle, car chacun se doute que le néo-atlantisme du Président et l'envoi de quelques soldats en Afghanistan sont au coeur des angoisses du pays réel. On ne parle que de cela sur les marchés, à l'heure où les étudiants pauvres et les pensionnés misérables viennent faire leurs courses, c'est-à-dire à l'heure où l'on entasse les déchets invendus et invendables mais encore consommables par ce que l'on appelait naguère la «France d'en-bas», et que désormais on n'appelle plus du tout, car tout se passe comme si ces millions de paumés n'avaient plus d'existence. On se doutait bien que Sarkozy et sa bande ne fréquentaient ces rats de marchés que lors des campagnes électorales. Mais il faut bien dire que la Gauche semble peu s'en soucier. Quelques aboiements lorsqu'on annonce la suppression de la carte de réduction «familles nombreuses», la longue complainte du paquet fiscal qu'on n'aurait pas dû ficeler, la stigmatisation répétitive des franchises de remboursement des frais médicaux, la révélation que la «réforme» cache de la «rigueur» - on serait tenté de dire : le bruit de fond d'une opposition tranquille, comme le fut jadis, souvenez-vous, la force qui devait changer la vie.
On attend plus que des soupirs indignés
Je suis sévère ? Oui, parce que je ne pardonne pas à cette Gauche qui, tout de même, était le choix, à trois centièmes près, d'un Français sur deux, de n'avoir pas, en une année ou presque, placé au coeur de ses devoirs celui de répondre clairement aux problèmes que rencontre un pays désormais bien malade, puisqu'il désapprouve majoritairement son ludion de Président et ne voit pas l'ombre d'une alternative se dessiner face à la grande démolition économique et sociale que nous vivons.
Il faudrait des réponses. Sur quelles question ? Elles sont évidentes : par exemple, comment défendre le pouvoir d'achat ? Le gouvernement à parcimonieusement lâché des augmentations de salaires infinitésimales pour la fonction publique, et l'on sait que sur ce curseur se règlera toute l'évolution des salaires. Vous a-t-il semblé que la réponse de la Gauche ait été à la mesure de l'évènement ? Combien faut-il de points en dessous du niveau de l'inflation pour que de la rue de Solférino émanent non quelques soupirs indignés, mais une plate-forme de contre-propositions sur lesquelles une résistance puisse prendre appui ? Il est vrai qu'hier encore, pendant la campagne présidentielle, on chipotait en choeur sur le SMIC comme s'il s'agissait d'une bombe à retardement, capable, en cas d'élévation désordonnée, de faire exploser l'économie. Peut-être y a-t-il une louable orthodoxie économique dans cette défiance (bien que les économistes brillent uniquement par leur capacité à expliquer le mardi pourquoi ils se sont trompés le lundi), mais il faut alors demander à ces mêmes économistes d'expliquer comment ils vivraient avec un petit millier d'euros par mois, quelques aides, un loyer de logement en ville et le gaz à payer (qui, lui, a quasiment augmenté de 25% en un an).
La différence entre la Gauche et le Droite, c'est que la Gauche a le devoir de réparer cette injustice – ou alors quoi ? Ce serait contre-productif, comme on se plaît à le dire ici et là ? Faut-il croire qu'à gauche aussi, on compte sur l'upper middle class et les rentiers pour relancer la consommation, sachant bien que même après la réduction de son ISF, la 300e fortune de France (on dit que c'est madame Parisot) ne va pas acheter une auto par mois pour relancer la construction automobile, ou quatre tonnes de rillettes d'un coup et relever de la sorte le cours du cochon. Et sans doute nos «voisins allemands» (on les appelle ainsi pour célébrer leur sagesse) ont-ils perdu la tête en augmentant leurs fonctionnaires de 4 à 8%, fait qu'aucun dirigeant socialiste n'a évoqué, à ma connaissance, avec les éloges attendus. Ou alors, discrètement : il eût fallu un coup de tonnerre.
On attend plus que des soupirs indignés
Je suis sévère ? Oui, parce que je ne pardonne pas à cette Gauche qui, tout de même, était le choix, à trois centièmes près, d'un Français sur deux, de n'avoir pas, en une année ou presque, placé au coeur de ses devoirs celui de répondre clairement aux problèmes que rencontre un pays désormais bien malade, puisqu'il désapprouve majoritairement son ludion de Président et ne voit pas l'ombre d'une alternative se dessiner face à la grande démolition économique et sociale que nous vivons.
Il faudrait des réponses. Sur quelles question ? Elles sont évidentes : par exemple, comment défendre le pouvoir d'achat ? Le gouvernement à parcimonieusement lâché des augmentations de salaires infinitésimales pour la fonction publique, et l'on sait que sur ce curseur se règlera toute l'évolution des salaires. Vous a-t-il semblé que la réponse de la Gauche ait été à la mesure de l'évènement ? Combien faut-il de points en dessous du niveau de l'inflation pour que de la rue de Solférino émanent non quelques soupirs indignés, mais une plate-forme de contre-propositions sur lesquelles une résistance puisse prendre appui ? Il est vrai qu'hier encore, pendant la campagne présidentielle, on chipotait en choeur sur le SMIC comme s'il s'agissait d'une bombe à retardement, capable, en cas d'élévation désordonnée, de faire exploser l'économie. Peut-être y a-t-il une louable orthodoxie économique dans cette défiance (bien que les économistes brillent uniquement par leur capacité à expliquer le mardi pourquoi ils se sont trompés le lundi), mais il faut alors demander à ces mêmes économistes d'expliquer comment ils vivraient avec un petit millier d'euros par mois, quelques aides, un loyer de logement en ville et le gaz à payer (qui, lui, a quasiment augmenté de 25% en un an).
La différence entre la Gauche et le Droite, c'est que la Gauche a le devoir de réparer cette injustice – ou alors quoi ? Ce serait contre-productif, comme on se plaît à le dire ici et là ? Faut-il croire qu'à gauche aussi, on compte sur l'upper middle class et les rentiers pour relancer la consommation, sachant bien que même après la réduction de son ISF, la 300e fortune de France (on dit que c'est madame Parisot) ne va pas acheter une auto par mois pour relancer la construction automobile, ou quatre tonnes de rillettes d'un coup et relever de la sorte le cours du cochon. Et sans doute nos «voisins allemands» (on les appelle ainsi pour célébrer leur sagesse) ont-ils perdu la tête en augmentant leurs fonctionnaires de 4 à 8%, fait qu'aucun dirigeant socialiste n'a évoqué, à ma connaissance, avec les éloges attendus. Ou alors, discrètement : il eût fallu un coup de tonnerre.
Et le logement? Et la hausse des prix? Et Gandrange?
Autre question, bien moins cruciale, je l'avoue, que l'euthanasie: l'absence de politique du logement, et de toute proposition de nature à contrôler la hausse des loyers, notamment dans les grandes villes. Promettre des HLM, cela fait partie du discours ordinaire de la Gauche en campagne, mais enfin, rectifions le tir une fois pour toutes : ce que veulent les mal logés, ce n'est pas une HLM au fin fond d'une banlieue, c'est un appartement correct avec un loyer abordable dans leur ville, un loyer qu'ils seraient ravis de payer avec un salaire correct. D'autant plus que l'HLM reste à construire (sont-ce là les fameux «lendemains qui chantent» ?), tandis que les appartements vides, dans toutes nos grandes villes et surtout à Paris, se comptent par centaines de milliers. Aux dernières nouvelles, Sarko a abaissé le plafond de revenus donnant droit aux HLM, et, apparemment, cela n'a gêné personne à Gauche, mais il se peut que de toute façon ces ayant-droits supprimés n'auraient jamais eu accès – toutefois, on ne voit pas quelle économie cette mesure procure à l'Etat, et peut-être eût-il été du devoir de la Gauche de la commenter et d'en expliquer, éventuellement, le sens profond (ce que n'ont pas fait les journalistes, dans leur ensemble). Déjà, dans la campagne des présidentielles, le dossier «logement» de Ségolène était mince comme du papier à cigarette. Il est urgent de l'épaissir par des propositions concrètes. Et la hausse des prix, vous la voyez comment ? Et Gandrange, qu'est-ce que vous préconisez ? Et la réforme de l'Etat (il faut tout de même y penser, quand on voit le coût de la perception de nos impôts ...), vous la feriez comment ?
On ne peut pas être partout, mais de là à n'être nulle part...
Tant qu'on y est, puisqu'il est question d'économiser, serait-il possible d'apprendre clairement en quoi la position de la Gauche sur la fameuse dette diffère de celle de la Droite au pouvoir ? Je crois entendre des voix intelligentes qui clament (dans le désert) que notre niveau d'endettement est franchement riquiqui par rapport à nos voisins européens et américains. Alors, à qui profite ce consensus contre la dette, si ce n'est à la rigueur ? Admettons que la dette soit un vrai problème (mais je crois avoir lu quelque part que Milton Friedman lui-même rigolait bien de cette angoisse...) : par quels choix politiques, économiques et fiscaux la Gauche la réduirait-elle ? Ce n'est pas clair, et pourtant, il y a des opportunités. Par exemple, on apprend aujourd'hui que les entreprises leaders du CAC 40 ne paient pratiquement pas d'impôt sur les sociétés en France, où elles se débrouillent pour n'avoir que des déficits (pour un peu – et je redoute que cela ne soit parfois le cas ...- elles demanderaient des indemnisations et des prêts aidés). Allez, François, Ségolène, Laurent, Pierre, Julien, dites-le nous sans détour : approuvez-vous cela ? que suggérez-vous? Vos bobines, vos tics, vos qualités et vos défauts, on les connaît : dîtes-nous, envisagez-vous de faire payer ces mammouths? oserez-vous? La Droite assure que la rigueur, à Gauche, est synonyme de hausses d'impôts : il n'y a pas à en rougir, mes amis, moi, je serais ravi que Lagardère paie l'impôt sur les sociétés demain si ce n'est pas le cas aujourd'hui, alors, dites, c'est oui ? Et puisque le Président se targue de vouloir moraliser les marchés financiers, pourquoi ne pas clamer haut et fort vos propres propositions en la matière? Ca mettrait, au moins, un peu d'ambiance!
Savoir si Nicolas sera dans la tribune le jour de l'ouverture des Jeux, c'est une belle question : mais ça m'empêche pas de dormir tous ceux qui ont leurs fins de mois pour thème d'insomnie. Défiler pour le Tibet ou pour Ingrid, qui ne le ferait (surtout pour humer le parfum de Carla) ? Mais laisser à Kosciusko-Morizet et à un sénateur UMP le soin de dénoncer l'hypocrisie du gouvernement lors du débat sur les OGM, c'est une élégante désertion. Le socialisme municipal, c'est bien, mais des millions de français attendent de l'opposition qu'elle propose une autre politique, avec des choix argumentés et clairement exprimés. Les tribunes ne manquent pas, cinq ou six leaders y ronronnent chaque semaine, en attendant de s'étriper, alors même que de jour en jour ce pays s'enfonce dans la crise. Vous l'empêcherez d'être sinistré depuis vos belles mairies? Montez au front. On ne peut pas être partout à la fois ? Je crains, les gars, que pour le moment vous ne soyez nulle part.
Autre question, bien moins cruciale, je l'avoue, que l'euthanasie: l'absence de politique du logement, et de toute proposition de nature à contrôler la hausse des loyers, notamment dans les grandes villes. Promettre des HLM, cela fait partie du discours ordinaire de la Gauche en campagne, mais enfin, rectifions le tir une fois pour toutes : ce que veulent les mal logés, ce n'est pas une HLM au fin fond d'une banlieue, c'est un appartement correct avec un loyer abordable dans leur ville, un loyer qu'ils seraient ravis de payer avec un salaire correct. D'autant plus que l'HLM reste à construire (sont-ce là les fameux «lendemains qui chantent» ?), tandis que les appartements vides, dans toutes nos grandes villes et surtout à Paris, se comptent par centaines de milliers. Aux dernières nouvelles, Sarko a abaissé le plafond de revenus donnant droit aux HLM, et, apparemment, cela n'a gêné personne à Gauche, mais il se peut que de toute façon ces ayant-droits supprimés n'auraient jamais eu accès – toutefois, on ne voit pas quelle économie cette mesure procure à l'Etat, et peut-être eût-il été du devoir de la Gauche de la commenter et d'en expliquer, éventuellement, le sens profond (ce que n'ont pas fait les journalistes, dans leur ensemble). Déjà, dans la campagne des présidentielles, le dossier «logement» de Ségolène était mince comme du papier à cigarette. Il est urgent de l'épaissir par des propositions concrètes. Et la hausse des prix, vous la voyez comment ? Et Gandrange, qu'est-ce que vous préconisez ? Et la réforme de l'Etat (il faut tout de même y penser, quand on voit le coût de la perception de nos impôts ...), vous la feriez comment ?
On ne peut pas être partout, mais de là à n'être nulle part...
Tant qu'on y est, puisqu'il est question d'économiser, serait-il possible d'apprendre clairement en quoi la position de la Gauche sur la fameuse dette diffère de celle de la Droite au pouvoir ? Je crois entendre des voix intelligentes qui clament (dans le désert) que notre niveau d'endettement est franchement riquiqui par rapport à nos voisins européens et américains. Alors, à qui profite ce consensus contre la dette, si ce n'est à la rigueur ? Admettons que la dette soit un vrai problème (mais je crois avoir lu quelque part que Milton Friedman lui-même rigolait bien de cette angoisse...) : par quels choix politiques, économiques et fiscaux la Gauche la réduirait-elle ? Ce n'est pas clair, et pourtant, il y a des opportunités. Par exemple, on apprend aujourd'hui que les entreprises leaders du CAC 40 ne paient pratiquement pas d'impôt sur les sociétés en France, où elles se débrouillent pour n'avoir que des déficits (pour un peu – et je redoute que cela ne soit parfois le cas ...- elles demanderaient des indemnisations et des prêts aidés). Allez, François, Ségolène, Laurent, Pierre, Julien, dites-le nous sans détour : approuvez-vous cela ? que suggérez-vous? Vos bobines, vos tics, vos qualités et vos défauts, on les connaît : dîtes-nous, envisagez-vous de faire payer ces mammouths? oserez-vous? La Droite assure que la rigueur, à Gauche, est synonyme de hausses d'impôts : il n'y a pas à en rougir, mes amis, moi, je serais ravi que Lagardère paie l'impôt sur les sociétés demain si ce n'est pas le cas aujourd'hui, alors, dites, c'est oui ? Et puisque le Président se targue de vouloir moraliser les marchés financiers, pourquoi ne pas clamer haut et fort vos propres propositions en la matière? Ca mettrait, au moins, un peu d'ambiance!
Savoir si Nicolas sera dans la tribune le jour de l'ouverture des Jeux, c'est une belle question : mais ça m'empêche pas de dormir tous ceux qui ont leurs fins de mois pour thème d'insomnie. Défiler pour le Tibet ou pour Ingrid, qui ne le ferait (surtout pour humer le parfum de Carla) ? Mais laisser à Kosciusko-Morizet et à un sénateur UMP le soin de dénoncer l'hypocrisie du gouvernement lors du débat sur les OGM, c'est une élégante désertion. Le socialisme municipal, c'est bien, mais des millions de français attendent de l'opposition qu'elle propose une autre politique, avec des choix argumentés et clairement exprimés. Les tribunes ne manquent pas, cinq ou six leaders y ronronnent chaque semaine, en attendant de s'étriper, alors même que de jour en jour ce pays s'enfonce dans la crise. Vous l'empêcherez d'être sinistré depuis vos belles mairies? Montez au front. On ne peut pas être partout à la fois ? Je crains, les gars, que pour le moment vous ne soyez nulle part.