Nicolas Sarkozy assure que la durée légale du travail resterait fixée à 35 heures. Au même moment, son ministre du Travail, Xavier Bertrand, met la dernière main à un texte donnant à chaque entreprise la possibilité de s’en s’affranchir. Stupeur dans le camp syndical. Le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, ne décolère pas.
Propos Recueillis par FRANÇOIS WENZ-DUMAS, Liberation.fr du 29 Mai 2008
Quelle a été votre réaction en découvrant l’avant-projet de loi gouvernemental sur la démocratie sociale ?
Ce texte est à la fois malhonnête et inacceptable. Il est malhonnête sur la méthode, parce que c’est un projet de loi qui traite de deux sujets qui n’ont rien à voir entre eux. Sur la représentativité syndicale, il reprend la position commune que nous avons négociée et cosignée avec la CFDT. Et à côté, le gouvernement glisse un autre texte, qui consiste à balayer toute la législation sur le temps de travail, en laissant chaque entreprise s’organiser à sa guise. Cela va bien au-delà des 35 heures. Je le redis : la méthode est malhonnête et le contenu est inacceptable.
La position commune signée par la CGT et la CFDT comportait bien un article qui ouvrait une possibilité d’accord sur les 35 heures…
Après de longues discussions, nous étions parvenus à un accord avec le Medef et la CGPME. Il porte sur une seule disposition, limitée et très encadrée. Nous avons accepté, ce qui était de notre part une concession importante, que l’on puisse déroger au principe du contingent d’heures supplémentaires dans le cadre d’un accord d’entreprise majoritaire. Mais à deux conditions: que ce soit à titre expérimental, et que cela s’inscrive dans un accord signé par des syndicats représentant une majorité de salariés. La CFDT, la CGT, le Medef et la CGPME ont dit : «Nous sommes d’accord pour ouvrir cette possibilité.» Et que fait le gouvernement ? Il dit : «Ce n’est pas cela que nous attendions, alors nous n’allons pas tenir compte de ce que vous avez signé: nous allons mettre dans la loi ce que nous voulons.» Et il renvoie au niveau de l’entreprise l’essentiel de la législation sur le temps de travail.
Qu’est-ce que ça change ?
Ce ne sont pas seulement des droits sociaux qui sont mis en cause : cela change aussi les rapports des entreprises entre elles. Nous risquons d’être confrontés à une escalade dans le moins-disant social : au sein d’une même branche d’activité, cela sera à celle qui fera le plus travailler en payant le moins d’heures sup possible et en supprimant les repos compensateurs. Une des mesures les plus dangereuses est la généralisation des forfaits en jour ou en heures, limités jusqu’ici aux cadres ou aux professions itinérantes. Le texte permet d’imposer systématiquement des forfaits jour à tous les salariés, en totale contradiction avec les objectifs annoncés par le gouvernement sur la réforme des heures supplémentaires. Les entreprises pourront faire travailler pendant des mois bien au-delà de la durée légale à laquelle on prétend ne pas toucher, sans payer d’heures supplémentaires. Est-ce cela que veut le gouvernement ? C’est de cette façon qu’il répond aux attentes sur le pouvoir d’achat ? Tout ce qu’il va faire, c’est accentuer la flexibilité des horaires pour chaque entreprise, et chaque salarié.
Pourquoi le gouvernement fait-il cela ?
Nous sommes victimes des batailles internes de l’UMP. C’est aussi un règlement de comptes idéologique avec la gauche. Et ce sont les salariés qui vont en faire les frais.
Que compte faire la CGT pour s’opposer à ce projet ?
Dès ce soir, nous nous réunissons avec l’ensemble des syndicats pour décider des suites à donner à la mobilisation du 22 mai sur les retraites. La CGT va proposer que l’on organise très vite une protestation contre cette remise en cause totale de la réglementation sur le temps de travail. Il faut faire vite : le gouvernement veut faire voter ce texte fin juillet. C’est une très curieuse conception de la démocratie sociale. Pour des raisons idéologiques, il essaie de nous mettre devant le fait accompli. Nous ne l’accepterons pas.