"L'eurodéputé socialiste et ancien président du Mouvement des jeunes socialistes (MJS) défend une offre politique clairement à gauche pour le prochain congrès. Très critique envers «la crise des social-démocraties européennes», Benoît Hamon regarde vers les gauches américaines et Barack Obama, appelant à un «choc fiscal» qui n'exclurait pas «la question des renationalisations». Fondateur du think-tank La Forge avec Noël Mamère, le fondateur du Nouveau parti socialiste NPS (avec Arnaud Montebourg et Vincent Peillon) souhaite que Martine Aubry le rejoigne dans son entreprise. Troisième volet de notre série d'entretiens sur l'avenir du PS, après Jean-Pierre Mignard et Manuel Valls."
Quel est votre sentiment sur l'état du socialisme aujourd'hui?
C'est
d'abord une affaire de contexte global. Je suis convaincu qu'on est
dans un vrai renversement de cycle. Une forme d'impasse du
libéralisme, impuissant face aux crises financière,
alimentaire, démographique, climatique et
énergétique. Cette situation marque l'échec de la
mondialisation heureuse. Et ce constat fait naître les besoins
d'intervention publique et de mécanismes de redistribution. Face
à cela, je trouve que le discours de mon propre parti sur la
modernisation tous azimuts et le recentrage est en total
décalage avec ce qui se passe
C'est-à-dire?
On devrait anticiper
l'instabilité en essayant de construire des réponses pour
se dégager des marges de manœuvre. Pas dessiner un petit
congrès, qui perpétuera cette tradition de rassemblement
socialiste en suspension dans l'air. À Dijon (en 2005), avec le NPS,
on avait mis sur la table des idées en proie avec la
réalité des difficultés du pays. Quand on lit le
texte proposé par Bertrand Delanoë (long silence)... on est
franchement déçu. C'est un catalogue de réponses
consensuelles à court terme, comme si on était au
gouvernement, sans se préoccuper du chaos actuel. Moi j'estime
que quand la droite nous promet un avenir sombre, on ne peut pas se
permettre de proposer la grisaille en faisant croire à
l'arc-en-ciel. La période actuelle présente autant
d'opportunités d'émancipations collectives que de
tentations de replis identitaires. Comme disait Antonio Gramsci: «Le
vieux est mort et le neuf hésite à l'être. Et de ce
clair-obscur peut naître un monstre.»
Comment vous positionnez-vous dans les débats sur la social-démocratie européenne?
J'ai refait mes calculs: depuis juin 2006, les partis membres du PSE
comptabilisent deux victoires en quinze élections, dont
l'Autriche en coalition avec la droite! C'est la débâcle.
Et il n'y a pas une seule famille qui est épargnée, des
Scandinaves aux Méditerranéens, en passant par les
Rhénans. Cette débandade fait l'objet d'un déni
total de notre part, alors que même Rasmussen (le
président du PSE) dresse le
constat de notre incapacité à dégager une
cohérence au niveau européen. L'intellectuel collectif du
PS ne regarde plus ce qui se passe ailleurs et est incapable d'analyser
ses propres échecs, alors que le recentrage de nos voisins
profite systématiquement à la droite dure ou aux
libéraux. Seuls résistent les Espagnols, grâce
à un débat ultra-clivé sur la mémoire, les
questions de société ou de religions. Un vrai clivage
gauche/droite…
Vous appelez à ce retour du clivage?
Objectivement,
à côté de cette social-démocratie qui
plonge, il y a quand même une gauche éclatante en
Amérique du Sud. Certes dans un environnement bien
différent, mais sur un spectre très large, de Chavez
à Bachelet en passant par Lula. Ils gagnent partout! En axant
leurs programmes sur la défense des droits sociaux des
minorités et des populations indigènes, qui ne sont
après tout pas bien différentes de nos classes moyennes
et populaires. Ils assument la conflictualité de la
société, quand nous voulons expliquer qu'il faut tous
aller dans le même sens. Quand j'entends Gérard Collomb
dire que la création de richesse passe avant la redistribution,
je pense exactement le contraire. C'est d'abord une meilleure
redistribution qui créera la richesse la moins
inégalitaire... C'est aussi ce qu'est en train de faire Barack
Obama.
Vous prenez en modèle la gauche américaine?
Et
je n'hésite absolument pas à le dire: Obama est bien plus
à gauche que Delanoë, sur les questions économiques
et même sociales. J'y ai été en tant que
vice-président du groupe de relations avec le Congrès et
j'y ai rencontré des syndicats très actifs, qui
œuvrent pour regagner des protections et non plus seulement
amoindrir les nouvelles vulnérabilités qu'on tente de
leur imposer.
Plus prosaïquement, qu'attendez-vous alors de ce congrès?
Pas le murmure habituel, du style «il faut des emplois de qualité et créer des richesses pour construire le progrès social» et autres «le PS doit être le moteur de l'Europe sociale».
Si le congrès se fait sur 3 euros d'augmentation de la prime
pour l'emploi par-ci, le rajout d'un trimestre de cotisations
par-là ou la seule définition des métiers
pénibles, cela n'en vaut pas la peine...
Mais qu'espérez-vous concrètement?
Qu'il
se fasse sur la question du choc fiscal nécessaire pour
réarmer les Etats, sur la remise en cause du pacte de croissance
européen et sur les restrictions à imposer au
libre-échange. Pourquoi le mot de protectionnisme serait un mot
tabou, quand le développement durable est en jeu? La question,
c'est: «comment reconquérir le pouvoir?» et, une fois conquis, «comment transformer la société?»
Et quelles sont vos réponses?
D'abord,
pour gagner le pouvoir, il faut cliver et remettre de la
conflictualité dans le débat politique. Franchement, on a
l'air de quoi avec nos discours type «il faut travailler dans l'intérêt de tous»,
quand tout le monde est en rapport de force permanent avec son
banquier, son chef d'entreprise, avec les différents services
publics. Si on veut faire croire aux gens que tout le monde a les
mêmes intérêts, c'est sympa mais ce n'est pas le
cas. Alors on choisit les intérêts qu'il faut
défendre. Et on choisit son camp. Je suis convaincu que c'est la
meilleure solution de faire un parti de toute la gauche, qui fasse 30%
au premier tour. Même s'il y aura une extrême gauche
à nos côtés.
Mais c'est un peu le modèle italien de Veltroni, que vous décriez?
Sauf
que ce serait un parti qui resterait à gauche, au lieu de
l'assécher. Il y aura toujours des réservoirs de voix...
Essayons donc de voir ce que ferait la majorité des
Français face à deux offres politiques vraiment
clivées, avec une vraie gauche face à cette vraie droite.
Ensuite, il sera temps de mettre en œuvre les instruments pour
revivre dans la France d'après Sarkozy. Des instruments
prioritairement économiques et démocratiques. Moi je
reste partisan d'une VIe République comme on l'avait promue au
NPS. Et pas de marchandage misérable avec le pouvoir sarkozyste,
en lui donnant les moyens d'accentuer la présidentialisation du
régime, au prix de petites victoires secondaires.
Puisqu'il faut aussi parler de stratégie, quelle est la vôtre?
Je
pense que nous sommes en présence de deux lignes. D'abord celle
qui veut perpétuer l'orientation de la majorité de Dijon.
Delanoë et Royal ne nous montrent pour l'instant pas d'autres
ruptures qu'un recentrage. Puis, il y a la place pour une autre
orientation, et j'espère qu'elle regroupera davantage de
personnalités que la dernière fois, avec certains de ceux
qui étaient dans l'éternelle motion Hollande et qui
accepteront de s'engager à nos côtés. Il est
indispensable que cette seconde ligne fasse le score le plus important,
pour contrebalancer la haine que se vouent les deux écuries
présidentielles et qui minent l'existence même du parti.
Contrairement à la règle socialiste immanente, plus vous vieillissez, plus vous penchez à gauche?
Oui,
j'ai été rocardien à mes débuts. Mais
à l'époque c'était plus confortable et
c'était le temps où je mettais mes tripes d'un
côté et mon discours politique de l'autre. Et puis dans un
contexte particulier, deux-trois ans avant l'autonomie du MJS.
Et je ne renie pas cette expérience, qui m'a apporté des
fondements d'action et de pratique actuels, comme l'attention à
la délibération collective. Ce “bon
côté deuxième gauche”, qui fait plus
confiance au cheminement collectif qu'à l'avant-garde
éclairée.
Pensez-vous que votre "offre politique" sera unitaire?
J'attends
de voir ce que vont donner les jeux de rôle actuels. J'ai quand
même l'impression que tout le monde n'ira pas au bout et que
beaucoup préparent leur recyclage. J'attends de voir ce que vont
faire “les reconstructeurs” et je répondrai
présent à leur invitation au meeting du 1er juin. Mais
j'ai le sentiment que le courant strauss-kahnien est ouvert à
tous les vents et qu'un regroupement avec les fabiusiens n'est pas si
impossible. Enfin, j'espère profondément que Martine
Aubry et ses amis nous rejoindront, accompagnés d'une nouvelle
génération qui représente la jeunesse du parti.
Afin de porter une nouvelle vague, entre "le lac de Genève Delanoë" et "le clapotis sur le lac de Genève Royal".
Oui, c'est une pouponnière à cadres du parti. Ça sert à ça un mouvement de jeunesse. Quand je vois le niveau de certains de nos dirigeants, j'aurais bien aimé qu'ils soient passés dans une organisation de jeunesse. Aujourd'hui, je pense qu'il y a plus de débats politiques au MJS qu'à Désir d'Avenir ou dans une section du PS. Même s'il y a eu des hauts et des bas, le MJS a trouvé sa place dans le mouvement social, comme lors du dernier CPE. Et c'est une victoire, quand on voit l'accueil de n'importe quelle autre structure socialiste dans les collectifs ou les manifestations. Enfin, quand on voit le sort réservé aux anciens cadres du MJS, ce ne sont pas des trajectoires à la Delphine Batho ou à la Aurélie Filipetti, ou celles de ces jeunes coqs qui se tapissent dans l'ombre d'un premier fédéral en allant à la niche. Eux, ils sont généralement à la gauche du parti et si ce sont des éléphanteaux, on ne les a pas vraiment aider à sortir les pieds du marécage.
Vous avez fondé avec Noël Mamère un think-tank, La Forge, regroupant économistes et jeunes chercheurs. Actuellement, êtes-vous en mesure d'offrir quatre ou cinq idées forces comme celles de Jospin entre 1995 et 1997?
Je pense qu'on est encore flou. On est au point sur les questions de révolution fiscale, avec la création d'un impôt universel et la mise en place de nouvelles fiscalités environnementales ou d'aide à l'investissement, comme de l'assèchement de flux financiers issus de paradis fiscaux. En bref, créer un choc fiscal pour permettre de nouvelles régulations et de meilleures redistributions. Il y a ensuite des domaines entiers de travaux. On bosse sérieusement sur les questions carcérales, avec Serge Portelli par exemple, ou sur l'accès aux biens culturels. Mais notre problématique est claire, sur les questions d'urbanisme, d'école et de logement, comme sur l'économie. On doit se poser la question de la possibilité de déficits, comme on n'échappera pas à la question des renationalisations. On ne peut pas dire qu'il va y avoir un problème d'accès à l'énergie et laisser ces secteurs continuer à se faire désosser par les traités européens, sans penser se réapproprier à un moment ces instruments d'accès au bien public. On y travaille encore, mais on y travaille vraiment.