Comment Sarkozy écrit l’histoire de France, sous la direction de Laurence de Cock, Fanny Madeline, Nicolas Offenstadt, Sophie Wahnich. Éditions Agone, 2008, 204 pages, 15 euros.
Le Comité de vigilance face aux usages de l’histoire (CVUH) propose, sous la forme d’un dictionnaire critique, une analyse fournie et détaillée des références historiques employées par Nicolas Sarkozy lors de la dernière campagne présidentielle.
Le collectif d’historiens réuni dans l’ouvrage étudie les personnages, les lieux, les événements et les concepts disséminés dans les discours du candidat de droite.
Les références à l’histoire ont toujours constitué un passage obligé pour les candidats aux fonctions élyséennes. Mais Sarkozy a systématisé l’usage politique des repères historiques tout en actualisant un rapport au passé désormais marqué par le consumérisme, la confusion mémorielle et le besoin compulsif de patrimonialisation. Dans les quarante-neuf entrées de ce dictionnaire, les auteurs repèrent les stratégies discursives du futur président (et de ses porte-plumes) qui toutes visent à brouiller les repères politiques. La manipulation des symboles, la décontextualisation des événements (Henri Guaino parle de « désaffiliation ») construisent une mythologie nationale, dans laquelle l’histoire n’est là que pour prêter des noms. Elle devient alors « insécable et homogène », lisse et syncrétique. Les auteurs soulignent combien Sarkozy s’efforce de gommer les conflits et de valoriser une pseudo-continuité qui irait de la monarchie à la république. Cette mystique du consensus a pour objectif de neutraliser les désaccords et, finalement, de disqualifier le conflit politique.
Outre les erreurs manifestes (Mirabeau transformé en républicain fraternel !) et les contre-vérités (la vision paternaliste, condescendante et ethnocentrée de l’histoire africaine), on découvre comment Sarkozy n’exploite qu’une facette des personnages historiques mobilisés. Ainsi, l’engagement communiste de Guy Môquet est-il quasiment passé sous silence. De même, Sarkozy embrigade un Jaurès qui semble n’avoir jamais été un théoricien marxiste ni un défenseur de la diminution du temps de travail. Le recours aux personnages classiquement associés à la gauche (Blum, Jaurès, Jean Moulin) a permis au candidat de droite de se donner une épaisseur sociale et humaniste, dont il n’a échappé à personne qu’elle lui manquait singulièrement. Cette captation était d’autant plus aisée que la candidate socialiste s’est, dans le même temps, efforcée d’effacer tout ce qui pourrait « gauchir » son discours.
Le panthéon ainsi « bricolé » valorise la dimension individuelle des événements historiques. En présentant l’Édit de Nantes comme le texte d’un homme, Henri IV, Sarkozy passe sous silence les processus collectifs complexes qui ont permis d’aboutir à sa rédaction. L’obsession sarkozyenne est de produire un pseudo-récit national unitaire en amalgamant des hommes, des lieux et des événements. L’exaltation patriotique, qui perce avec insistance dans l’exploitation ambiguë du fait colonial, constitue un trait majeur du discours de Sarkozy.
Les montages historiques douteux et le bricolage mémoriel nauséabond auquel s’est livré Sarkozy pendant la dernière campagne ne doivent pas occulter les valeurs de la droite la plus réactionnaire et conservatrice qui sous-tendent ses discours. C’est donc un livre essentiel qui nous est proposé, d’abord parce qu’il est un travail collectif et critique, enfin parce qu’il met à jour, dans la rhétorique politique de Sarkozy, le rêve hégémonique d’une droite nationale libérale.
Jérôme Lamy, historien des sciences