Tribune de Florian Lecoultre, président de l'Union nationale lycéenne.
Si les lycéens descendent dans la rue depuis deux mois c'est bien que leur mouvement touche à des enjeux essentiels pour l'avenir du service public d'éducation. Des mobilisations locales, associant enseignants, parents et élèves ont débuté dès la notification aux établissements des dotations horaires avec lesquelles ils sont censés fonctionner lors de l'année scolaire 2008-2009
Au-delà des 11 200 postes en moins à la rentrée 2008, ce sont les 80 000 suppressions prévues pour les trois années à venir, s'ajoutant aux 25 300 postes supprimés depuis 2003, qui inquiètent la communauté éducative.
En effet, alors que le nombre d'élèves augmente, comment lutter contre l'échec et la reproduction sociale, comment élever le niveau de formation en supprimant les moyens d'un suivi individualisé des élèves ? Sur le terrain, les effets de ces coupes budgétaires massives se font déjà ressentir : les classes dépassent désormais fréquemment les 35 élèves, de nombreuses options sont supprimées, accélérant la ghettoïsation de certains établissements... L'impression domine actuellement d'avoir atteint un point de non-retour dans les lycées.
Les suppressions de postes cristallisent aujourd'hui le mécontentement car elles traduisent une politique à courte vue, tournant le dos à toute véritable ambition éducative. Lors de sa récente intervention télévisée, le président de la République a malheureusement confirmé l'objectif purement comptable des réformes éducatives du gouvernement. La réforme du bac professionnel, conduite sans les lycéens, en est l'exemple type : ne cherchant ni à sortir ces filières de leur image de relégation, ni à réduire l'échec massif dont les lycéens professionnels sont victimes, elle semble ne poursuivre que l'objectif comptable de supprimer une année de formation.
Les lycéens ne sont pas conservateurs ; au contraire, ils exigent des réformes, mais considèrent qu'elles doivent porter une ambition éducative, répondre à l'objectif d'une école plus juste, permettant l'émancipation des jeunes et l'élévation du niveau de formation de la population. Les moyens doivent ainsi découler des objectifs politiques fixés à l'école, et non constituer un préalable conduisant à revoir les objectifs à la baisse. L'Union nationale lycéenne porte de nombreuses propositions pour réformer le système éducatif. C'est la réforme du collège unique en diversifiant certains enseignements pour lui permettre de redevenir le lieu de la mixité sociale, le renforcement du lien entre le secondaire et le supérieur, un vrai service public d'orientation capable de dispenser une information gratuite et de qualité à tous les élèves.
C'est le lycée polyvalent qui mêle les filières professionnelles, technologiques et générales dans un même établissement, favorisant les passerelles. C'est une pédagogie interdisciplinaire, un service public d'aide scolaire qui permette aux familles d'éviter le recours au privé pour assurer les missions de l'école. C'est une refonte des rythmes scolaires et des programmes, une nouvelle architecture de l'évaluation et de l'examen du bac. Les pistes à explorer sont nombreuses et les propositions des lycéens détaillées et crédibles.
Le président de la République a raison : si les lycéens se mobilisent c'est parce qu'ils sont inquiets pour leur avenir et qu'ils ont le sentiment d'être une génération sacrifiée sur l'autel de la rigueur. Cette situation est loin d'être normale et devrait révolter l'ensemble de la classe politique. Comment en effet théoriser que par principe la jeunesse soit synonyme d'inquiétude pour l'avenir ? Comment se résoudre à ce que les jeunes Français soient les plus pessimistes d'Europe ? Les lycéens souhaitent au contraire en se mobilisant préserver leur droit à l'avenir et démontrer que la jeunesse doit être le moment de l'émancipation et de l'ouverture des possibles.
Crise des banlieues et mouvement lycéen contre la réforme du bac en 2005, mobilisation contre le CPE en 2006, mouvement des étudiants et lycéens contre la loi sur les libertés et responsabilités des universités en 2007, la fréquence des mobilisations de la jeunesse démontre, loin d'une tradition rituelle, l'ampleur de la crise sociale et générationnelle qui traverse le pays. Le gouvernement serait fort inspiré d'entendre le message de la jeunesse, faute de quoi c'est l'avenir de l'ensemble du pays qui sera compromis.
Les lycéens, en se mobilisant autour de revendications et de propositions claires, ont pris leurs responsabilités et montré l'absurdité des sempiternelles accusations de manipulation portées contre les jeunes qui se mobilisent. Lors de la rencontre avec Xavier Darcos, le 10 mai, ils ont obtenu de premiers reculs de la part du gouvernement. Des thématiques ont été dégagées qui vont dans le bon sens pour la future réforme du lycée, comme la mise en place d'un réel statut lycéen, ou encore d'un service public d'orientation doté d'un vrai contenu. Si ces avancées sont significatives, elles ne sauraient être considérées comme suffisantes et les lycéens attendent désormais du ministre qu'il réaffirme son ambition pour le système éducatif par la mise en place d'une exception dans l'éducation nationale à la logique de suppressions à grande échelle de postes qui prévaut dans la fonction publique.