Par Marie Noëlle Lienemann (député socialiste européenne), Jean Mallot (député socialiste de l'Allier), Paul Quilès (ancien ministre), Alain Vidalies (député socialiste des Landes).
Notre monde est ébranlé par quatre grandes crises aux effets cumulatifs. A la déstabilisation financière s’ajoutent en effet une crise alimentaire, une crise énergétique et des matières premières, une crise écologique. Partout, les répercussions sont graves: famine dans le Sud, baisse du pouvoir d’achat dans le Nord pour les couches populaires et de plus en plus pour les couches moyennes.
Cette fois-ci, c’est bien la logique du système -un capitalisme devenu financier et transnational, adossé à un libéralisme conquérant- qui est en cause. Le diagnostic est désormais partagé, même par de brillants économistes, qui concluent de leur constat qu’il faut faire autrement et changer de cap, de logique économique et sociale, de mode de développement, d’organisation des pouvoirs.
Nicolas Sarkozy, imperméable à la gravité de ces crises, ne propose aucune stratégie et se contente d’accélérer ses «réformes» libérales, à contretemps des évolutions en cours. Alors que la France va présider l’Union Européenne, il n’avance aucune idée d’envergure pour réorienter les choix européens. A vrai dire, les autres conservateurs européens semblent tous décidés à attendre, à subir et à ne rien changer.
Comment alors ne pas espérer que se fasse entendre en France et en Europe la voix du camp progressiste, pour porter ces exigences et proposer ! Mais les partisans de la «mondialisation heureuse» se font discrets, la social démocratie européenne est aux abonnés absents. La gauche française doit réagir. Devant les catastrophes qui se préparent et les désordres qui atteignent aussi notre pays, les socialistes ne peuvent pas en rester à des batailles de mots, à des luttes de personnes, à des stratégies incertaines. Lors de son prochain congrès à Reims, le Parti Socialiste doit prendre la mesure de cette tâche historique et proposer des réponses à la hauteur des attentes des Français.
L’histoire nous enseigne que ces périodes troublées conduisent parfois à des révoltes, à des révolutions et même à des guerres, qu’elles peuvent se traduire par un durcissement du capitalisme, mais aussi à des réorientations majeures, comme le «new deal» aux Etats-Unis, après la crise de 1929. De ces bouleversements peuvent naître le pire ou le meilleur. Nouvelle ère de progrès partagé ou dérive nationaliste, voire fascisante ou intégriste? Il est de la responsabilité du politique, des partis et de ceux qui prétendent gouverner de proposer une analyse sérieuse de la situation, une vision d’avenir, mais aussi des mesures immédiates pour éclairer un autre chemin.
Changer : l’intervention publique plutôt que la financiarisation à tout crin !
La crise financière, accentuée par les «subprimes» américaines s’est répercutée sur tout le système bancaire et financier mondial (1000 milliards de pertes !). Elle témoigne des conséquences gravissimes de la libéralisation des capitaux et du mouvement d’autonomisation complète de la sphère financière par rapport à l’économie productive. La transparence, proposée comme remède, ne suffira pas à domestiquer la folle course au profit maximum par le simple jeu de placements financiers. L’idée d’une taxe sur les transactions financières (taxe Tobin), trop vite abandonnée, montre aujourd’hui toute sa pertinence. Un certain volontarisme aurait pu changer le cours des événements.
Il y a urgence à protéger nos économies de cette redoutable pression des fonds spéculatifs, qui se manifeste par le chantage aux délocalisations et un recul de nos modèles sociaux. Partout, les Etats et la puissance publique reviennent en force, pour tenter de dégager des marges de manœuvre. Ici, il s’agit de conserver la maîtrise des ressources naturelles ; là, on veut éviter les déroutes bancaires, là encore, on veut asseoir une influence géoéconomique en créant des fonds souverains.
Alors, puisque le pouvoir est plus que jamais dans la détention du capital, créons nous aussi des fonds souverains ! Comme il semble peu probable de les envisager dans un cadre européen, l’Union s’obstinant dans ses dogmes d’un autre temps, prenons-en l’initiative dans notre pays. Entre la nationalisation à 100 % et la privatisation, les participations, même minoritaires, au capital d'entreprises industrielles peuvent permettre de peser sur les choix stratégiques de ces entreprises.
Changer : des protections ciblées, des échanges négociés, plutôt que le libre échangisme généralisé
La conférence de Rome n’a rien résolu de la crise alimentaire. L’ouverture des marchés a amené beaucoup de pays, en particulier africains, à se détourner de l’agriculture vivrière. L’impossibilité d’encadrer les prix et de taxer les importations n’a pas permis de protéger les petits producteurs locaux. Les instances internationales, en particulier le FMI et la Banque mondiale, ont poussé à privilégier les exportations, plutôt que les productions de nourriture locale! La spéculation financière a fait le reste.
Le temps est venu de réorganiser les échanges autour de grands pôles continentaux, en lieu et place d’un libre échangisme à peine entravé par quelques règles minimales. Retrouvons l’esprit d’origine de la construction de l’Europe avec la préférence communautaire. C’est vrai pour l’agriculture, où nous devons faire reconnaître pour chaque pays le principe de la souveraineté alimentaire. C’est vrai aussi pour les normes sociales et environnementales, qui doivent être imposées à nos importations, sans attendre d’hypothétiques règles mondiales. Cette stratégie devrait mettre en place des protections ciblées, équitables, anti-dumping, fondées si possible sur des accords équilibrés avec les pays les plus pauvres.
Changer : une fiscalité redistributrice et écologique, plutôt que la course aux exonérations d’impôts
L’augmentation des coûts du pétrole, du gaz, des matières premières génère d’immenses difficultés pour le plus grand nombre et des profits record pour quelques uns. Selon certains, il s’agirait d’«une opportunité écologique», la hausse des prix conduisant à des pratiques vertueuses. Ce qui est sûr, c’est que les plus pauvres sont les plus pénalisés et que, le plus souvent, ils ne sont pas en mesure d’investir dans des produits, des aménagements, des installations économes ou dans les énergies renouvelables. Il est clair que le changement climatique impose de repenser de fond en comble notre mode de développement, mais cette évolution ne saurait se faire au prix d’inégalités sociales accrues et de la fragilisation dangereuse de pans entiers des activités.
C’est pourquoi il est nécessaire d’instaurer des aides ciblées pour certaines professions et surtout une profonde refonte de la fiscalité (TVA, TIPP….) pour que l’Etat puisse mieux réguler les prix. Il faut aussi dégager les indispensables financements publics (économie d’énergie, énergies renouvelables). Taxons les profits exceptionnels des grandes entreprises et en particulier ceux de Total, non pas sous forme de versements immédiats mais en actions, en capital, ce qui aurait l’avantage de ne pas obérer ses capacités d’investissement et permettrait à la puissance publique de toucher de substantiels dividendes et d’abonder, grâce à ces actions, les fonds souverains nationaux !
Changer pour un monde multipolaire plutôt qu’un multilatéralisme impuissant et pollueur.
La lutte contre l’effet de serre va imposer une réorganisation profonde des échanges et donc une certaine forme de relocalisation par grande région mondiale. Cela paraît la seule façon de réduire l’absurde pollution induite par des transports et des déplacements inutiles que génère la délocalisation de la production dans des pays à faible exigence sociale ou écologique. De même, la mise en œuvre d’une «taxe carbone» universelle doit être engagée, avec l’aide de l’Europe, qui peut l’imposer aux importations.
Compte tenu de l’ampleur de ces crises et de leurs conséquences possibles, nous ne pouvons nous résigner au fatalisme auquel on cherche à nous habituer.
Nous ne prétendons pas détenir des solutions magiques, mais nous souhaitons que les éléments de réponses apportées par les socialistes témoignent qu’on peut, qu’on doit changer de politique si l’on veut changer le monde !/.