Tribune d'Ahmed Dahmani, maître de conférences à lé Paris Sud-XI, publiée dans l'Humanité.fr du 12 Juillet 2008.
L’Union pour la Méditerranée écoutera-t-elle les révoltes au Maghreb ?
Les images qui viennent du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie), ce sont des populations poussées à bout qui crient leur colère sous forme d’émeutes, de saccages, d’incendies d’édifices publics, de barrages de routes. Des jeunes et moins jeunes sortent dans les rues de leur agglomération, parfois de simples bourgades, pour crier leur désespoir et revendiquer, qui un travail, qui un logement, qui de l’eau potable.
Ces mobilisations sont la conséquence de la lente dégradation de la situation économique et sociale. Pourtant, selon l’OCDE, les pays du Maghreb connaissent ces dernières années de « bonnes performances macroéconomiques et financières ». La croissance dans les trois pays a été relativement élevée et les équilibres financiers internes et externes maîtrisés. L’envers du décor : une réelle dégradation de la situation sociale, comme le souligne le PNUD pour qui ces « performances économiques » ne se traduisent par une amélioration sensible du développement humain.
Le taux de chômage en Algérie et en Tunisie est à deux chiffres en 2007 : respectivement de 13,8 % et 14,5 %. Seul le Maroc affiche un taux de 9,8 % en 2006. Ces chiffres ne tiennent pas compte des salariés précarisés : vacataires, saisonniers, emplois aidés, etc. Et le chômage des jeunes diplômés dépasse 20 %. De fait, le diplôme se dévalorise ne constituant plus la clé pour l’accès à l’emploi qualifié, à la reconnaissance et à la promotion sociales. Ce sont d’autres canaux qui se développent : clientélisme, affairisme. Ou alors, comme la Tunisie et le Maroc, l’emploi non qualifié dans le secteur du tourisme ou dans les centres d’appels.
Les dépenses publiques dans l’éducation sont relativement comparables : autour de 7 % du PIB mais les taux d’analphabétisme des adultes (plus de quinze ans) restent élevés : 25,7 % en Tunisie, 31,1 % en Algérie et la
catastrophe marocaine à 47,7 %. Les systèmes éducatifs se caractérisent par des taux d’échecs et d’abandons scolaires importants. En Algérie seuls 21,8 % d’une classe d’âge accèdent
au supérieur, et seulement 13 % au Maroc. Dans ce dernier, les infrastructures sont tout particulièrement vétustes et notamment dans le milieu rural : 60 % des écoles n’ont pas d’électricité, 75 % pas d’eau potable et 80 % pas de sanitaires.
Au Maroc, 14,3 % de la population sont en dessous du seuil de pauvreté (2 dollars par jour par habitant) dont près de 70 % vivent dans le milieu rural. En Tunisie, 6,6 % et la palme revient à l’Algérie où le taux atteint 15,1 %. Ce qui justifie amplement l’expression « l’Algérie : un pays riche, un peuple pauvre ».
Le désengagement de l’État de certains services non marchands, notamment la santé, s’est traduit par un abandon du principe de la garantie des soins pour les populations. La privatisation de la médecine introduit un système discriminatoire par le revenu et les programmes de prévention reculent alors que les conditions générales de vie, d’habitat et d’hygiène des couches les plus pauvres se détériorent.
Les émeutes qui se développent aujourd’hui sont donc l’expression de révoltes sociales suite à la dégradation de la situation économique et sociale. Jusque-là les pouvoirs en place répondent par la violence. Au Maroc, les forces de sécurité ont commis des actes inqualifiables selon les organisations de défense des droits de l’homme, rappelant les années de plomb de l’époque de Hassan II. En Tunisie, où la contestation dure depuis plusieurs mois dans la région de Gafsa, la répression policière a provoqué la mort de deux personnes et plusieurs autres ont été blessées. Même situation de répression en Algérie où le mouvement émeutier prend des proportions plus importantes encore en l’absence de canaux d’expression du mécontentement et des revendications capables de négocier pacifiquement la volonté de changement pour une amélioration des conditions d’existence des populations.
L’UE sous présidence française et l’Union pour la Méditerranée qui se réunit ce 13 juillet à Paris ne peuvent ignorer ces mobilisations sociales. Ce sommet ne doit pas servir à cautionner des régimes autoritaires ou dictatoriaux. Et les relations UE-Méditerranée ne doivent pas se résumer à de strictes relations économiques et à une gestion sécuritaire de l’immigration. Le partenariat euro-méditerranéen doit plus que jamais inscrire comme condition impérieuse le respect des droits humains dans tout l’espace méditerranéen.