Tribune de Denis Chausserie-Laprée membre du Conseil supérieur de la magistrature et membre du Syndicat de la magistrature, Emmanuelle Perreux présidente du Syndicat de la magistrature et David De Pas secrétaire général adjoint du Syndicat de la magistrature, parue dans Liberation.fr du jeudi 3 juillet 2008.
D’ici à la fin juillet, le président de la République entend bien voir adopter par le Congrès la réforme constitutionnelle en cours de discussion devant le Parlement. Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur cette réforme, en particulier sur la faculté nouvelle qu’elle accordera au Président de pouvoir s’exprimer devant la représentation nationale.
En revanche, les analyses consacrées à l’impact de la réforme sur l’autorité judiciaire - autre pilier essentiel à l’équilibre démocratique - ont été beaucoup plus rares.
Or, l’indépendance de la magistrature - principe constitutionnel qui n’a d’autre vocation que de préserver l’acte de juger de toutes sortes de pressions - est réaffirmée, sans être réellement garantie. Ainsi le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), organe chargé de garantir l’indépendance des magistrats, sortira, en l’état du texte voté, considérablement affaibli par la réforme constitutionnelle.
Pour justifier une nouvelle composition de ce conseil dans lequel les magistrats seront désormais minoritaires, y compris en matière disciplinaire - ce qui est sans équivalent en Europe dans les conseils de justice et en France non seulement dans la fonction publique mais également dans toutes les professions réglementées (médecins, avocats etc.) -, l’accent est mis sur l’excès de corporatisme et l’affaire d’Outreau censés démontrer à eux deux que les magistrats ont naturellement tendance à organiser leur propre protection.
C’est oublier qu’à l’heure actuelle, la carrière des magistrats relève principalement de la compétence du garde des Sceaux et que le CSM n’intervient qu’à la marge. C’est oublier également que, dans l’affaire d’Outreau, les auditions de la commission d’enquête parlementaire ont largement démontré que la procédure pénale n’encadre pas suffisamment la détention provisoire et que les droits de la défense mériteraient d’être significativement renforcés.
En faisant la part belle à la hiérarchie judiciaire dans la future composition du CSM (qui ne représente pourtant que 10 % du corps des magistrats mais qui occupera quatre des sept postes des représentants des magistrats), la réforme constitutionnelle ne permettra nullement de faire échec aux réseaux d’influence ou à la tentation corporatiste.
Les autres membres du CSM seront des personnalités extérieures. Le projet du gouvernement souhaitait que, pour la majorité d’entre elles, leur désignation relève du pouvoir politique (président de la République, présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale). Cette soumission trop voyante au fait majoritaire, dénoncée de toute part, a conduit l’Assemblée nationale à proposer que cinq de ces personnalités soient désignées par diverses institutions représentant la société civile (Conseil économique et social, Défenseur des droits des citoyens etc.).
Mais cette ouverture vers la société civile semble remise en cause par le Sénat… Surtout, comment s’accommoder d’une réforme qui ne prévoit pas de renforcer les attributions du Conseil supérieur de la magistrature et ne lui accorde aucune autonomie de fonctionnement ? Ainsi, sous couvert de lutte contre le corporatisme, il est avant tout question de reprendre en main la magistrature.
Institutionnellement, l’indépendance de la magistrature sera d’autant moins assurée que le ministre de la Justice continuera d’assister aux séances du CSM. Or, cette présence n’est ni motivée, ni clairement encadrée. Plus grave, le conseil perd la possibilité de rendre des avis d’initiative sur les atteintes portées à l’indépendance. Cette prérogative a pourtant permis ces dernières années de dénoncer des excès visant l’autorité judiciaire, accusée parfois sans ménagement d’être responsable de l’absence d’efficacité des politiques de lutte contre la délinquance.
Ce débat peut apparaître technique et sans importance à un moment où la société française est légitimement préoccupée par la dégradation de ses conditions d’existence.
Pourtant, la santé d’une démocratie se mesure notamment à la place réservée à l’institution judiciaire, dont la mission est de garantir les droits et libertés de chacun. Il nous appartient à tous d’en prendre conscience et de refuser cette régression démocratique.