Entretien avec Jean-Pierre Dubois, président de la Ligue des droits de l’homme, réalisé par Marie-Noëlle Bertrand - L'Humanité.fr du 25 Août 2008.
Avec d’autres, la Ligue des droits de l’homme va déposer un ultime recours contre le fichier EDVIGE. Son président appelle à intensifier la lutte.
Depuis le 1er juillet, date de sa promulgation, le décret instaurant le fichier EDVIGE s’est déjà vu attaquer cinq fois devant le Conseil d’État par des personnalités politiques et des syndicats. Tous demandent l’annulation totale de ce nouvel outil de renseignements. Une quinzaine d’organisations s’apprêtent à faire la même démarche
Jean-Pierre Dubois. Nous voulions prendre notre temps pour approfondir et collectiviser notre démarche. Le décret qui instaure le fichier EDVIGE a été promulgué fin juin : nous avions donc jusqu’à fin août pour déposer un recours. Au final, nous sommes prêts à la date voulue avec des syndicats tels que la CGT, la FSU, la CFDT ou encore le Syndicat de la magistrature, ainsi que diverses organisations, telles que IRIS, qui milite pour un réseau Internet solidaire ou AIDES, qui lutte contre les discriminations de genre. Une avocate appuiera notre demande, laquelle vise l’annulation pure et simple du décret.
Pourquoi EDVIGE soulève-t-il une telle opposition quand les fichiers des ex-renseignements généraux bénéficiaient d’une relative indifférence ?
Les fichiers des RG étaient déjà critiquables - notons que la France est la seule démocratie au monde à développer un tel instrument de renseignements. Mais EDVIGE substitue la suspicion à la prévention et confond engagement politique et délinquance. D’abord, ce nouveau fichier est le fruit de la fusion opérée entre la DST, ancien service de contre-espionnage, et les RG, ancienne police politique. Il mêle donc lutte contre l’espionnage international et recensement de personnalités politiques, syndicales ou associatives. Ensuite, il rend possible le fichage de personnes « susceptibles de troubler l’ordre public ». J’aimerais que l’on m’explique ce que veut dire ce « susceptibles ».
Et là encore, il est troublant de mélanger des noms de militants - par exemple moi, président de la Ligue des droits de l’homme - avec ceux de présumés délinquants. La loi, du reste, l’interdit. Enfin,
EDVIGE instaure ce fichage dès 13 ans. C’est une triste première, quand les RG ne l’autorisaient qu’à partir de 18 ans et que la police ne fichait que les mineurs ayant commis un délit.
On parle de 602 organisations mobilisées contre EDVIGE. Cette opposition parvient-elle à trouver sa cohésion ?
Tout à fait. La pétition mise en ligne rassemble des milliers de signatures. De façon générale, la lutte contre les fichiers s’intensifie. Un recours devrait être déposé contre CRISTINA, un fichier dédié à la lutte antiterroriste, et plusieurs points ont été marqués contre Base-élèves, qui instaure un fichage des élèves du premier degré. Il faut continuer. Le fichage passe encore trop bien dans l’opinion. On n’est pas ennuyé comme lors d’un contrôle de police et l’on se dit : « Après tout, tant que l’on n’a rien à se reprocher… » Mais je me permets de citer Alex Turc, président de la CNIL qui, bien que sénateur de la majorité présidentielle, dénonce un glissement vers une société de surveillance et illustre ainsi ses propos : prenez une grenouille et jetez-la dans l’eau très chaude. Elle se débattra et sortira de la casserole. Prenez la même grenouille, jetez-là dans l’eau froide et mettez la casserole sur feu doux. Elle cuira sans s’en rendre compte, jusqu’à se laisser ébouillanter. Sans jamais réagir.