Le besoin d’Europe est redevenu impérieux. Il avait cessé de l’être après la disparition de l’Union soviétique et le triomphe de l’idéologie néolibérale. Dans un monde qu’ils croyaient durablement prospère et pacifié, les dirigeants européens s’employaient, sur le plan économique à faire respecter la stabilité monétaire et la «concurrence libre et non faussée» ; sur le plan géopolitique à exercer le «soft power» (diplomatie, négociations), en complément du «hard power» (guerres préventives ou punitives), confié à «l’hyperpuissance» américaine. Les optimistes parlaient de la «fin de l’histoire», les pessimistes du «choc des civilisations» (...)
Tribune d'Henri Weber, député socialiste européen (Libération 1er décembre 2008)
(...) La crise économique ouverte par le krach de New York appelle un retour en force de la puissance publique. Les socialistes européens travaillent depuis un an déjà à apporter une réponse commune à la crise.
Le «Manifeste» du Parti socialiste espagnol (PSOE), débattu les 1er et 2 décembre à Madrid par les leaders de trente-trois partis socialistes européens, propose une réforme complète du système financier international. Mais il insiste surtout sur un plan massif de relance de l’activité économique en agissant à la fois sur l’investissement et la demande. Ce keynésianisme du XXIe siècle intègre l’apport de l’écologie politique - l’objectif d’une «croissance verte et intelligente» - et celui de la social-démocratie : la combinaison entre efficacité économique et progrès social.
Le PSE propose d’investir massivement dans les nouvelles sources d’énergie (éolienne, photovoltaïque, géothermique, marémotrice…) et dans les économies d’énergie - l’isolation thermique des logements, notamment -, afin de soutenir les PME du bâtiment. Ces stratégies pour une «croissance durable» devraient permettre la création de 10 millions d’emplois à l’horizon 2020, dont 2 millions dans le seul secteur des énergies renouvelables. Le PSE propose aussi de mettre en œuvre les grands travaux d’infrastructure transeuropéens - fret ferroviaire, TGV, canaux, réseaux Internet à haut débit - financés par emprunts, levés par la Banque européenne d’investissement (BEI), et l’émission «d’obligations vertes» européennes à taux zéro. D’augmenter substantiellement les investissements dans les grands équipements de recherche et les technologies nouvelles. De favoriser le développement du tiers secteur de l’économie sociale en Europe, qui emploie aujourd’hui 5 millions de salariés, mais pourrait en mobiliser aisément le double. Cette relance par l’investissement, dans chaque Etat membre et au niveau de l’Union européenne, beaucoup plus ambitieuse que celle que propose la Commission, s’accompagne d’une relance par la demande.
Le PSE propose un «Pacte européen du progrès social» afin de protéger les revenus des plus démunis, une directive-cadre en défense des services publics, des salaires minimaux décents dans tous les Etats membres, l’augmentation du fond européen d’adaptation à la mondialisation. L’idée qu’il faut réorienter la construction européenne dans le sens d’une Europe plus active, plus ambitieuse, plus volontaire, plus sociale, fait son chemin. Les partis socialistes et sociaux-démocrates ont mesuré les limites du chacun pour soi. Ils débattent à Madrid d’une «stratégie économique coopérative» entre les Etats membres, et au-delà, d’une politique macroéconomique commune à l’échelle du continent.
C’est en réinventant son projet européen que la gauche réformiste pourra trouver une seconde jeunesse. Ce n’est que si cette gauche est capable de se refonder que le projet européen pourra sortir de la léthargie dans laquelle l’a enfermée, au tournant du siècle, le retour des égoïsmes nationaux.
Henri Weber, député socialiste européen