Chère Marie-George, Tu as souhaité connaître ma décision quant à mon appartenance au Conseil national du Parti Communiste à l’issue du 34e congrès.Aujourd’hui, à la veille du congrès, je veux t’annoncer ma décision de quitter le Conseil national du parti.
Je mesure la gravité de ce choix politique, mûrement réfléchi, compte-tenu que je fus, avant toi, secrétaire national puis président du parti. Et, disons-le, jusqu’à ce jour cette pratique n’était pas dans nos traditions.
Il s’agit pour moi d’une question majeure. A travers ma réponse – au caractère transparent et public – je veux sortir de mon silence pour te faire part de quelques unes des réflexions qui fondent mon choix.
En retrait de la scène politique nationale ces dernières années, je n’ai pas souhaité,tu le sais, intervenir sur les choix stratégiques du parti, leur mise en oeuvre, les résultats qui en ont découlé, sans pour autant m’exonérer d’aucune réflexion critique. Ni à propos de mon action, durant 9 ans, à la première responsabilité du Parti communiste français et de l’effort de mutation que j’y avais engagé. Ni à propos des enseignements des deux scrutins présidentiels, à l’occasion desquels j’ai eu l’honneur d’être le candidat des communistes. Je pense à la remontée de notre influence en 1995, avec 2 millions 600 000 voix et près de 9 %. Mais aussi à l’échec douloureux de 2002, avec seulement 3,37 %. De ce dernier résultat, j’avais tiré l’enseignement démocratique qui, me semble-t’il, s’imposait en m’éloignant de mes fonctions politiques de premier plan, et en refusant d’organiser autour de ma sensibilité, à l’intérieur ou hors du parti, une structure qui aurait rassemblé tout ceux qui avaient soutenu mes efforts.
C’est pendant mes mandats que les communistes ont participé durant 5 années au gouvernement de la France. La plus longue expérience gouvernementale de communistes dans un pays occidental. Malgré les échecs de la gauche plurielle auxquels il serait erroné d’attribuer une part démesurée de notre déclin électoral, je reste convaincu que ce choix constructif était alors le plus conforme à notre responsabilité historique, et que le bilan de nos ministres fut à bien des égards positifs. Je pense, en outre, que l’échec de cette expérience n’était pas inéluctable. Dès mon arrivée à la direction du parti – à peine 5 ans après l’effondrement du soviétisme – j’ai proposé aux communistes français d’engager un immense effort de mutation, c’est-à-dire une série de transformations profondes dans l’identité même du parti. Cette véritable révolution dans notre culture visait non seulement à dégager le communisme français de l’image soviétique d’un socialisme étatique et liberticide et de son dramatique échec mais aussi, et surtout, à rompre avec la dogmatisation stalinienne de nos pratiques, calquées sur la matrice bolchevique de 1920. Cet effort de mutation entrepris à la fin des années quatre-vingt-dix – dont l’une des aiblesses essentielles fut certainement d’être tiré « d’en haut » et marqué d’un volontarisme excessif – s’est heurté de plein fouet à une culture communiste enfermée, consciemment ou inconsciemment, dans un modèle politique inadapté et conservateur. A cela s’est ajoutée sans aucun doute la confusion – délibérément entretenue par certains – entre notre mutation et la politique de la gauche plurielle, marquée de l’hégémonie socialiste. Puis- je avouer, que mon volontarisme d’alors n’était que l’expression d’un sérieux doute quant à la possibilité de réformer le P.C.F. ? N’était-il pas trop tard ? Ma réponse aujourd’hui, si douloureuse soit-elle, est que ce doute était fondé. Cela ne signifie pas à mes yeux – contrairement à ce qu’imaginent ou souhaitent certains - la disparition imminente du parti communiste. Ce serait ignorer les ressources humaines – certes affaiblies mais encore réelles – que constituent l’immense richesse et les capacités d’action de ses militants et de ses élus. Mais lavisibilité et le crédit de la politique du parti communiste aux yeux des français se heurtent malheureusement à l’impossibilité – que je crois désormais endogène - à s
’auto-transformer. A la lumière de la préparation du 34e congrès, je ne pense pas que la forme actuelle du parti, pas plus que sa stratégie, soit la réponse appropriée aux nouveaux besoins politiques qu’appelle la société française et, en son sein, particulièrement les jeunes.
De même que, à propos du communisme, plutôt que de s’enfermer dans le fétichisme d’un mot – et j’en fus – il faut tenir compte que ce mot a été malheureusement souillé aux yeux des peuples par les erreurs et les horreurs commises en son nom. Tout cela me semble réduire à néant, les possibilités offertes au mouvement réel alors que, face à une crise du capitalisme sans précédent, les alternatives de dépassement du système lui-même pourraient offrir des perspectives crédibles.
Je crois qu’il est temps de revenir aux valeurs qui ont fondé l’idéal communiste. Et que « l’hypothèse communiste » qu’évoquent certains se situe moins, en effet, dans le mot communiste que dans les valeurs qui fondent l’hypothèse elle-même.
Chère Marie-Georges,
Tu peux comprendre que ma décision de ne plus appartenir au Conseil national du PCF est l’expression de la distance politique qui, pour moi, s’est progressivement creusée entre mon attachement à des valeurs de libération humaine et d’action qui ont fondé mon engagement communiste – et auxquelles je reste viscéralement attaché – et l’évolution du Parti communiste français d’aujourd’hui telle qu’elle semble définitivement se figer dans la préparation du congrès des jours prochains.
Bien sûr, l’explosion des inégalités et des injustices engendrées par la crise du capitalisme contemporain appelle, sans délai, des actions concrètes et significatives.
Bien sûr, plus que jamais, l’heure est à agir pour faire reculer les souffrances des plus pauvres, des couches moyennes et notamment des jeunes. Notre responsabilité est grande surtout que, pour des millions de gens, les conflits d’ambitions personnelles, les engagements non tenus par Nicolas SARKOZY et son gouvernement, discréditent la politique, les partis politiques et leurs dirigeants, et font douter de leur utilité pour changer la vie quotidienne, la société et le monde.
Face à cette situation, je ne peux pas me contenter d’une position d’observateur. J’annoncerai donc, dans peu de temps, une initiative qui me donnera la possibilité de poursuivre autrement et reprendre plus activement mon combat pour un monde plus juste et plus humain. Chère Marie-Georges, je suis convaincu que dans ce combat nous nous retrouverons chacune et chacun dans la fidélité à nos convictions. Je t’adresse mes sentiments les plus fraternels. Robert HUE