Le PS offrait une variante du libéralisme, il va réinventer une doctrine ; Sarkozy n'est pas pragmatique, mais un idéologue ; les convulsions sociales forceront les politiques à organiser un nouveau monde. Au canon, Benoît Hamon, le nouveau porte-parole socialiste marque son territoire pour 2009 et prédit des moments difficiles dans les mois à venir. (Interview par C.Askolovitch dans le Journal du Dimanche)
Martine Aubry dit que les socialistes vont travailler pour faire des propositions... Donc vous n'avez pas d'idées aujourd'hui?
C'est une facilité! Le PS a une responsabilité: construire une doctrine pour notre retour au pouvoir, dans un monde chamboulé. Je ne veux pas faire mon parti plus beau qu'il n'est. Nous sortons d'un congrès très dur. Nos débats d'idées ont été obérés par des enjeux de pouvoir. Mais on a la volonté de prendre les sujets sérieusement, c'est ce que nous demande Martine Aubry. Avec la crise financière, nous changeons d'époque. Ça ne se repense pas à la légère!
Ce n'est pas si compliqué - vu de gauche - d'analyser la chute du capitalisme financier...
Nous reprenons un travail intellectuel négligé pendant des années. La gauche avait renoncé à penser un autre système. Nous théorisions une simple variante protectrice du libéralisme ambiant. Tout le monde, par exemple, plaidait pour une plus grande flexibilité du marché du travail... La flexibilité, les salariés la subissent, mais aucun Etat n'a su organiser durablement les nouvelles sécurités. C'était une question grave avant la crise. C'est une question vitale aujourd'hui, tant les populations souffrent de la précarité et du déclassement. C'est là-dessus qu'on doit refonder la gauche.
Et cela nécessite tant de réflexion?
Constater que Nicolas Sarkozy sacrifie le social, c'est facile, tant ça crève les yeux. Réclamer un pôle public d'investissement pour que l'Etat puisse avoir une stratégie industrielle, c'est plus structurant. Mais il y a toute une architecture à repenser. Le monde politique, la gauche incluse, ne fera pas sa mue sans heurts. La crise financière a provoqué la crise économique. La crise économique entraînera la crise sociale. La crise sociale forcera la crise politique. Il faudra attendre que la crise sociale, qui se répand partout dans le monde, trouve son débouché politique pour que les vraies ruptures s'opèrent.
Vous prédisez une apocalypse?
Des mouvements sociaux, on en verra en France, et très vite. Mais cela va au-delà. Oui, il va y avoir des licenciements, des drames, des convulsions sociales. Je ne m'en réjouis pas. Mais je sais que c'est ainsi que les gouvernants bougeront. Nous entrons dans une période instable et incertaine. L'exaspération sociale peut aussi être le terreau de réponses politiques violentes ou autoritaires...
La crise politique touchera aussi le PS?
Le PS se transforme comme la société. Je n'ai jamais pensé que ça se ferait tranquillement. Mais on aura un temps d'avance.
Pour l'instant, on n'entend que vous au PS... et souvent en décalage avec le reste du parti...
On m'entend parce que je suis porte-parole. Mais il y a une équipe, des personnalités nouvelles, et on va les entendre, et on entendra Martine Aubry, en 2009, sur des paroles fortes. Quant à mon décalage avec le parti, c'est une apparence politicienne. Tout le PS veut protéger les salariés des licenciements abusifs dans des entreprises faisant des profits. J'avais parlé d'une forme d'autorisation administrative pour lancer un débat, mais des pénalités financières dissuasives me vont très bien. Le PS fera ses propositions en janvier.
Et sur l'Europe, le PS va devenir "noniste", comme vous?
Aux élections européennes, les socialistes seront réunis derrière une bannière et un projet identiques. Nous parlerons harmonisation fiscale, lutte contre le dumping social et environnemental, services publics, maîtrise des échanges commerciaux. Et il faudra un candidat socialiste européen à la Commission face à Barroso. Il faut en finir avec ce pacte de gestion de l'Europe passé entre la gauche et la démocratie chrétienne. C'est le moment. Il y a une crise et les comportements changent... Le pacte de stabilité, présenté comme intouchable, a bien été suspendu!
Grâce à Nicolas Sarkozy, d'ailleurs?
Vous marchez à cette illusion? Sarkozy avait pris des engagements budgétaires qu'il ne pouvait pas tenir. La crise a été son aubaine. Ainsi, il a pu masquer son échec. Toute l'Europe a compris qu'il était impossible de passer la crise avec le carcan du traité...
"Sarkozy a habillé une régression avec les oripeaux du mouvement"
Pourquoi ne pas admettre qu'il a fait sauter des verrous?
Je n'y crois pas: sans la crise, il serait resté le mauvais élève du déficit budgétaire! Je refuse ce lieu commun sur le pragmatisme de Nicolas Sarkozy. Je ne le crois pas pragmatique mais idéologue. S'il était pragmatique, il suspendrait le bouclier fiscal. S'il n'était pas idéologue, il ferait légiférer contre les licenciements d'opportunité. Et il renoncerait à privatiser La Poste ou à diminuer les effectifs à l'école! Pour un déficit cumulé de 800 millions d'euros, on va supprimer des milliers d'emplois dans l'hôpital public dès 2009! Tout concourt à exposer plus que jamais les populations à la brutalité économique. C'est non seulement inique mais absurde. Sans confiance, comment croire à une relance possible?
Sarkozy demande à l'industrie automobile de ne plus délocaliser...
Il demande. Et je dois donc me fier à la seule parole du Président? A sa propension à tancer les uns et les autres? En dehors de ses foucades, il laisse les entreprises et les banques hors de tout contrôle sérieux. Nous voulons une véritable négociation sociale, des règles, des régulations. Nous voulons des aides conditionnées à des engagements. Nous n'admettons pas que seul le verbe présidentiel sépare les salariés de l'horreur sociale. Oui, l'automobile va bénéficier d'un sursis. Mais cela ne change rien à la logique du système. Et tôt ou tard, si on ne change pas les règles, les délocalisations reprendront.
Vous pourriez prendre comme un hommage le ralliement du Président à l'idée de "justice" ou de "solidarité", dans ses voeux du 31 décembre...
Une apparence n'est pas un hommage. Sarkozy a habillé une régression avec les oripeaux du mouvement. Il masque une politique qui sème la zizanie. Les pays qui sortiront le mieux de la crise sont ceux qui feront confiance à leurs citoyens, et dont les citoyens pourront croire les gouvernants. Nicolas Sarkozy ne pourra jamais rassembler les Français après avoir stigmatisé les profs, les jeunes, les fonctionnaires, maintenant la médecine hospitalière...
La France est un des pays les moins bien préparés. Notre Président nous raccroche à tous les cauchemars d'un monde en train de disparaître./.