Pour Laurence Mollaret, vice-présidente du Syndicat de la Magistrature, l’idée de Nicolas Sarkozy de supprimer le juge d’instruction n’est qu’une décision politique: le président surfe sur l’affaire de Filippis et le retour d’Outreau, pour entamer l’indépendance de l’instruction et aider à enterrer les affaires politico-financières.
Entretien réalisé par Sylvain Lapoix - Marianne2.fr
Marianne2.fr : Le Monde révèle que Nicolas Sarkozy a l'intention d'annoncer mercredi 7 janvier la suppression du juge d’instruction. Comment l'expliquez-vous ?
Laurence Mollaret : Nicolas Sarkozy profite d’un climat de remise en cause du travail des juges d’instruction pour continuer la sape de l’indépendance de l’instruction judiciaire, déjà bien entamée par la loi Perben II et l’action de Rachida Dati. Le moment est idéal : récemment, l’affaire de Filippis a sensibilisé l’opinion à la question des pouvoirs du juge d’instruction et bientôt le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) rendra ses conclusions sur le juge Burgaud, ce qui lui donnera l’occasion de rappeler le traumatisme de l’affaire Outreau.
C’est la méthode habituelle du président de la République d’instrumentaliser l’actualité pour faire passer des mesures complètement politiques et incohérentes : alors que nous sommes en plein chambardement avec la création des pôles d’instruction et les suites de la carte judiciaire, il décide tout d’un coup de supprimer le juge d’instruction !
En quoi le juge d’instruction est-il plus « indépendant » que le procureur de la République ou les autres magistrats ?
Quand il s’agit de nommer un juge d’instruction, le CSM a tous les pouvoirs. S’il est supprimé, il ne restera plus que le parquet. Or les procureurs sont nommés par le Conseil de ministres, c’est une nomination très politique. Le CSM donne son avis et le Garde des Sceaux peut en tenir compte ou pas. Et quand il s’oppose à une nomination, il passe généralement outre. En supprimant le juge d’instruction, il n’y a donc plus de magistrat indépendant entre le justiciable et le ministère de la Justice.
Qu’est-ce que cette décision changera pour le justiciable ?
Avec la suppression du juge d’instruction, le justiciable reposera entièrement entre les mains d’un magistrat dépendant du ministère de la Justice ! Quand il s’agira d’engager les poursuites suites à une plainte ou de choisir la juridiction de jugement, il n’y aura plus de contradiction entre le magistrat du parquet et le juge d’instruction. Le procureur sera également chargé de mener l’enquête, ce qui menace l’indépendance de l’investigation. On peut s’attendre à voir les non-lieux se multiplier dans les affaires politico-financières, qui font déjà l’objet d’un nombre de poursuites dérisoire en France.
Que pensez-vous de la contrepartie proposée qui consistera à augmenter les droits de la défense ?
Nous sommes évidemment favorables à de meilleurs droits pour la défense. Mais ce n’est qu’une façon assez habile de faire passer la pilule : on peut très bien augmenter les droits de la défense et maintenir le juge d’instruction. L’avocat de la défense a en tête l’intérêt de son client, il n’est pas indépendant : ce n’est pas lui qui ira contrôler où le magistrat enquête ou pas. Un avocat de la défense avec plus de droit ne remplacera jamais un juge d’instruction.