Dans Le Monde du 9 janvier, le député socialiste (et ancien premier ministre) pointe les dégâts résultant de l'exigence cupide de rendements financiers déconnectés de la croissance réelle, de l'hypercomplexité des mécanismes financiers imaginés, de l'absence de maîtrise publique coordonnée. Il y oppose des mesures pour un autre cap : celui d'un écodéveloppement mondial solidaire, par un vrai multilatéralisme avec, notamment, la suppression des trous noirs financiers que sont les paradis fiscaux, l'opposition aux manipulations des taux de change, l'adoption d'une taxe mondiale sur le CO2.
Début avril, se réunira à Londres le G20 chargé de répondre sur le fond à la gigantesque crise actuelle. Jusqu'ici les Etats ont surtout acheté du temps à coups de milliards et d'endettement public. Depuis le précédent sommet, à Washington en novembre 2008, plusieurs signes graves de craquements nouveaux sont intervenus : au plan mondial, la détérioration des économies émergentes ; en Europe, les menaces grandissantes contre le bouclier qu'est l'euro, en raison des situations et des stratégies divergentes des Etats membres ; et partout la montée des licenciements, des faillites, du chômage, de la pauvreté.
Il reste deux mois pour essayer de sauver l'économie mondiale. Je regrette que le président de la République, qui a eu récemment l'occasion de s'exprimer, soit resté trop allusif sur ces aspects essentiels. La France et si possible l'Europe doivent proposer pour le sommet de Londres des solutions au moins sur quatre points cardinaux.
D'abord, le G20 doit reconnaître clairement que nous avons besoin d'une régulation assumée et efficace. Contrairement au credo libéral cette crise n'est pas un simple accident, elle est née d'un mélange systémique de cupidité, de complexité et de conflictualité. La cupidité s'est illustrée par l'exigence de rendements financiers déconnectés de la croissance réelle de l'économie, ce qui a engendré une baisse de la rémunération du travail par rapport à celle du capital et une explosion de l'endettement, accompagnée d'une montée des inégalités.
La situation a été aggravée par l'hypercomplexité des mécanismes financiers imaginés, dont le seul effet limpide a été l'encaissement par les initiés de péages astronomiques auxquels il faut mettre un terme. La conflictualité internationale a porté le coup de grâce : aucune réponse coopérative n'a été apportée face à des questions d'ampleur mondiale telles que le saccage des ressources naturelles, le nouveau défi énergétique ou les déséquilibres commerciaux.
A ce triptyque calamiteux, rendu explosif par la faillite de la Banque Lehman Brothers, il faut parvenir à en substituer un autre : modération, régulation, coordination. La conférence de Londres doit jeter les bases de cette régulation : les fonds spéculatifs qui gèrent près de 2 000 milliards de dollars (1 555 milliards d'euros) doivent être réglementés ; les agences de notation encadrées ; la spéculation sur les matières alimentaires et énergétiques doit être contrée par des mécanismes publics de stabilisation des prix.
Et tout cela, pas seulement dans les mots mais dans les faits. L'absence de plan de relance commun aux Vingt-Sept contribue à aggraver la crise, tirons-en les leçons : j'attends du président français qu'il propose en urgence à l'Union européenne une approche commune sur ces sujets.
Pour être crédible, il est préférable de montrer soi-même l'exemple. Un domaine essentiel est celui des paradis fiscaux, dont on oublie souvent de souligner que la moitié sont situés en Europe. Ils sont scandaleux par l'atteinte qu'ils portent à la justice fiscale et économiquement catastrophiques : ils creusent en effet dans le système international un trou noir qui handicape toute réforme. Puisque des capitaux publics ont été accordés aux banques en France, je souhaite que dès les prochains jours il soit demandé à celles-ci de cesser toute relation avec les paradis fiscaux. Ces derniers n'existent que grâce à la complaisance de quelques grandes nations. Que notre pays s'applique cette règle et propose ensuite, à Londres, aux membres du G20 de la suivre : nous aurons alors plus de poids pour convaincre les autres de changer la donne.
Le troisième champ d'action concerne la gouvernance mondiale. Pendant des décennies, l'autorégulation a été célébrée dans les milieux dirigeants comme une grande idée. C'est en réalité une grande tromperie. Une gouvernance mondiale est indispensable et l'institution la mieux outillée pour l'assurer est le FMI. Reconnaissons-lui ce rôle, avec les moyens de le remplir. Là-dessus, il semble qu'il y ait en France un consensus possible. Mais cela suppose que les Etats les plus puissants, à commencer par les Etats-Unis et la Chine, acceptent eux aussi une approche réellement multilatérale. La France doit la proposer, d'abord à nos partenaires européens, puis à tous.
A cet égard, deux points-clés seront la lutte contre les manipulations des taux de change et l'adoption d'une taxe mondiale sur le CO2, qui doivent figurer expressément dans nos propositions. Il y a soixante ans, lors de la conférence de Bretton Woods, il suffisait que deux pays, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, s'accordent pour que de nouvelles règles soient mises en place. En avril à Londres, il y aura vingt partenaires autour de la table, et les problèmes à résoudre seront encore plus complexes. C'est là, et non à la télévision, que se jugeront les capacités réelles de convaincre.
Reste l'ultime point cardinal, essentiel, sur lequel le chef de l'Etat a été décevant : le modèle de développement à mettre en oeuvre. La crise a détruit des milliers de milliards de dollars de capital. Historiquement, les réponses à ce genre de dégradation brutale ont été désastreuses : soit la déflation, soit l'hyperinflation, soit même la guerre. Au-delà du sauvetage indispensable des banques et de la relance immédiate qui doit être plus forte que le "plan de recyclage" à la française, la seule réponse acceptable et durable réside dans l'écodéveloppement, la croissance verte, les progrès technologiques qu'ils impliquent. On ne peut pas les souhaiter au plan mondial et les oublier dans nos décisions nationales. L'industrie automobile a encore de beaux jours devant elle si elle fait le choix de l'écoconception des véhicules.
La construction offre des perspectives formidables si les logements et les bâtiments de nos villes deviennent économes en énergie, ce qui implique des financements suffisants. Les collectivités locales doivent être mises en situation d'y contribuer plutôt que ponctionnées. Même chose pour les transports, la santé ou l'agroalimentaire. La recherche, la formation, l'innovation, l'investissement doivent être encouragés en direction de l'écodéveloppement. Or cela, au-delà des discours, n'est pas fait assez en France.
Dans l'immédiat, les Etats-Unis vont aggraver leurs déficits jumeaux pour les besoins de leur relance, mais il faudra bien ensuite, notamment par une redistribution interne des revenus, qu'ils acceptent de financer eux-mêmes une grande part de leur développement. La Chine veut maintenir son excédent commercial par tous les moyens, mais il faudra bien qu'à son tour elle renforce son marché intérieur en améliorant sa protection sociale. Insuffisance d'épargne d'un côté, excès d'épargne de l'autre, avec de lourdes conséquences financières, économiques, commerciales, sociales : c'est ce déséquilibre aussi qu'il faudra réduire.
Sans jamais oublier que le renflouement des institutions financières ne dispensera pas de financer le développement et que les régions pauvres du globe constituent un champ de progrès immense. La conférence de Londres devra répondre à toutes ces questions. Notre pays peut y apporter une contribution majeure. Le redémarrage économique de long terme passe par une révolution technologique, éducative, écologique et démocratique. La relance immédiate doit la favoriser, non la freiner. Y compris en France./.