A contre-courant des invectives brouillonnes et fratricides dont se délecte le tout-venant médiatique dans sa curée anti-socialiste, une interview de Laurent Fabius dans Le Parisien du 19/7/09. Maîtrisée, unitaire, offensive, éclairante. A noter une phrase qui trace la voie pour 2012 : "Le PS n’imposera pas son candidat aux autres partis de gauche..."
Martine
Aubry a tapé du poing sur la table cette semaine en demandant à Manuels Valls
de cesser ses critiques ou de quitter le PS. Vous l’avez approuvée,
pourquoi ?
> Un rappel à
l’ordre était nécessaire, maintenant il faut aller de l’avant.
Vous
vous êtiez vous-mêmes affranchi de la discipline collective, en 2005, en
prêchant pour le non au référendum sur la Constitution européenne, alors que le
PS appelait à voter oui.
> Cela n’a
rien à voir. Je plaidais pour une proposition de nature politique, une Europe beaucoup
plus volontaire. N’y a t-il pas deux poids, deux mesures ?
Pourquoi le PS n’a t’il pas rappelé à l’ordre Michel Rocard ou Jack Lang, qui
travaillent régulièrement avec Nicolas Sarkozy ? > Il faut
distinguer celui qui apporte sa contribution au sein d’une commission - la
démocratie, c’est le pluralisme - et celui qui renonce à ses convictions pour
un poste ministériel. Cela c’est du débauchage et non de l’ouverture.
D’ailleurs ce qui m’intéresse, c’est plutôt la psychologie du
"débaucheur", en l’occurrence M. Sarkozy. Elle traduit une
conception totalement opportuniste de la politique selon laquelle il suffirait
d’insister pour que tout homme de gauche s’enrôle à droite. Je ne suis pas
d’accord avec cette vision, à vrai dire assez cynique, qui contredit la notion
même d’engagement. Vous ne croyez pas Sarkozy lorsqu’il explique que
sa politique n’est pas de droite ? > Son
discours emprunte parfois une terminologie de gauche, mais ses actes
principaux, non. En réalité, c’est une égoprésidence, faite pour un petit
groupe, pour un réseau d’hyper privilégiés. Prenez "le bouclier
fiscal". Grâce à lui 100 personnes possédant plus de 15 millions d’euros
perçoivent un chèque annuel du Trésor public de plus d’un million d’euros. En
pleine crise, comment l’admettre ?D’une façon générale, M. Sarkozy
semble tout ramener à cette seule valeur, l’accumulation d’argent. Une société,
ce n’est pas simplement cela. Autre exemple : le texte sur le travail du
dimanche...Tout doit devenir marchandise. C’est un attrape-gogos ! Contrairement
aux promesses du gouvernement, la loi n’entrainera pas de relance de la
consommation, elle ne s’appliquera pas sur la base du volontariat et ne donnera
pas lieu à un doublement du salaire par dimanche travaillé. Et la baisse de la TVA > Elle va
coûter au contribuable deux milliards et demi d’euros par an. N’y avait-il pas
d’autres priorités ? Le gouvernement certifie qu’il y aura des
contreparties pour les clients et pour les salariés. Mais chacun se rend compte
que cette baisse n’est pas, ou mal, répercutée. Au moment même où, par
ailleurs, on réduit la rémunération du Livret A pour des dizaines de millions
de petits épargnants. M. Sarkozy est un spécialiste de la communication
mais il est injuste pour le présent et il ne prépare pas l’avenir. Le chef de l’Etat veut pourtant lancer un grand
emprunt pour financer les dépenses d’avenir ? Je croyais que
c’était déjà le rôle du budget de la nation ! Voyez l’exemple instructif
d’EDF : l’entreprise lance un emprunt auprès des Français, elle récolte
3,5 milliards d’euros, deux jours après son président exige une augmentation
des tarifs de 20 % en expliquant que l’entreprise est... trop endettée !
Avec l’emprunt Sarkozy, cela risque d’être la même chose : d’abord un
emprunt, coûteux pour les finances publiques, ensuite, après les échéances
électorales, l’augmentation des impôts. Mais que ferait la gauche à sa place ? > Lors de la
motion de censure, j’ai cité plusieurs mesures d’urgence : annulation du
bouclier fiscal, exonération des cotisations sociales pour les seules
entreprises où sont conclus des accords salariaux, fin des suppressions
d’emplois à l’école, à l’hôpital et dans la police, meilleure
indemnisation-chômage pour les CDD et les intérimaires qui arrivent en fin de
droits. Cela permettrait au moins d’amortir la crise, qui va s’amplifier à la
rentrée. Plus largement, nous avons besoin de relancer une croissance durable,
c’est-à-dire verte et équitable, et d’engager une nouvelle politique européenne
volontaire face à la "Chinamérique" qui se profile. Certains salariés, comme ceux de New Fabris à
Châtellerault (Vienne), menacent de faire sauter leur usine. Vous
comprenez ? > Je ne
cautionne pas mais je comprends. Quand des ouvriers ou des cadres, après des
années, sont mis dehors sans perspective de retrouver du travail, sans
indemnisation durable, alors que quelques centaines de personnes engrangent,
elles, de véritables fortunes, il y a un problème évident ! Après leur percée aux européennes de juin, Europe
Ecologie et Daniel Cohn-Bendit menacent-ils le PS ? > Aux
européennes, le PS a payé cher ses divisions... Un certain nombre de gens qui
ont le coeur à gauche, ont voté pour le Front de gauche ou pour les écologistes
afin de ne pas voter socialiste. Au lieu de se diviser, le PS doit réagir,
proposer, positiver ! Ce travail a commencé, il faut l’amplifier, en
lançant des idées et en évitant de s’envoyer des coups. Etes-vous
favorable à des primaires étendues aux sympathisants de gauche pour désigner le
candidat du PS pour la présidentielle ? > Je suis
pour que le candidat socialiste soit largement désigné. Mais le PS n’imposera
pas son candidat aux autres partis de gauche... Vous
avez été Premier ministre de Mitterrand, que Sarkozy cite souvent. Ca vous
agace ? > Mitterrand
avait une jolie formule pour ce type de comportement : "ils citent
volontiers les socialistes mais seulement... étrangers ou disparus".
Beaucoup pensent que la réélection de M. Sarkozy est déjà acquise. Eh bien
moi, je suis convaincu qu’il peut être battu en 2012 ! Voici quelqu’un qui
s’est fait brillamment élire en promettant monts et merveilles et d’être le
président du pouvoir d’achat ; à mi mandat, le voilà recordman des
déficits, des inégalités, du chômage et de l’insécurité. Sans parler de sa main-mise
sur les médias, dont on a vu la traduction caricaturale cette semaine (le 13
juillet sur France 5 et le 14 juillet sur France 2 NDLR) ! S’ajoute
maintenant, paraît-il, une affaire de sondages complaisamment publiés mais plus
ou moins payés par l’Elysée ! Franchement, il n’y a pas lieu de se moquer
de M. Berlusconi... Je me fais une autre idée de la fonction
présidentielle, de l’autorité morale qu’elle devrait comporter, du sérieux et
de la profondeur de vues qu’elle requiert./.