Dans une tribune publiée par Le Monde (15/09/09), Pervenche Berès, député européenne socialiste et présidente de la commission "Emploi et affaires sociales" du Parlement européen, explique pourquoi la reconduction de Barroso à la tête de la Commission européenne est inacceptable. C'est autant l'homme que son orientation politique qui compromettent la nécessaire réorientation économique, sociale et écologique de l'Union européenne
M. Barroso n'est pas celui dont les Européens ont besoin,
par Pervenche Berès, LE MONDE | 15.09.09
Dans son "document d'orientation politique", José Manuel Barroso estime que la crise est économique, financière et de valeurs. Parce qu'il oublie qu'elle est aussi sociale et écologique, il n'est pas l'homme dont les Européens, l'Europe et le monde ont besoin.
Pour rebondir à partir de la crise actuelle, il faut une vision et du courage. M. Barroso n'a ni l'un ni l'autre. Il parle déjà d'une sortie de crise comme ceux qui veulent que tout recommence comme avant, alors que l'Europe requiert une stratégie d'entrée dans le nouveau monde, une stratégie de transformation écologique et sociale. Il prétend défendre une vision, mais se livre à une basse manoeuvre électorale, qui, justifiant son surnom de caméléon, le fait libéral chez les libéraux, socialiste chez les socialistes, écologiste chez les Verts. Il veut prendre les mots de ses interlocuteurs pour acheter leurs voix, mais il ne saura pas les mettre en actes.
Dans le programme en quarante-huit pages du candidat Barroso, où est le moyen de parvenir au modèle de développement écologique et social nouveau dont l'Europe a besoin et qu'elle doit porter à l'échelle globale ? M. Barroso ne dit pas un mot sur la façon d'utiliser la prochaine révision des perspectives financières pour remettre le projet européen sur les rails. Où est le dialogue social initié par Jacques Delors et l'engagement à réviser la directive détachement des travailleurs que les arrêts de la Cour de justice rendent indispensables ? Où sont les outils concrets, notamment en matière de fiscalité, qui permettraient de rétablir des marges de manoeuvre afin d'exercer la solidarité en interne et vers l'extérieur, de modifier les comportements "court-termistes" et dommageables pour l'environnement ? Où est la solidarité avec les pays du Sud et la question des rapports Nord-Sud qui font pourtant partie intégrante du projet européen ?
La réalité, c'est que son programme mais aussi son bilan font de lui un homme du passé. Au cours des cinq ans écoulés, il a théorisé le renoncement au droit d'initiative et à l'indépendance de la Commission au motif que les Etats membres n'en voudraient pas. Il a transformé la Commission en secrétariat général du Conseil, ce qui justifie que les chefs d'Etat et de gouvernement cherchent à le désigner pour un nouveau mandat. Or les Européens ont besoin d'un président de la Commission qui, avec le collège, s'appuie sur la force de l'intérêt européen pour résister et impulser.
La Commission doit exercer son droit d'initiative et bousculer les Etats membres, alors que s'ouvre une période de tension interne forte pour eux et qu'ils auront encore moins d'audace européenne. On ne fait pas campagne sur un bilan, mais on ne peut pas avoir exercé pendant cinq ans une responsabilité et ne rien en dire. Or, il n'a combattu ni la dérégulation ni une confiance excessive dans le tout-marché, et il a laissé faire ses commissaires. Il n'a réagi qu'acculé par la crainte des réactions des grandes capitales. Son mandat écoulé devait, selon lui, être celui de la consolidation de l'Europe à vingt-sept. Celle-ci est aujourd'hui gravement affectée par les cassures aggravées par la crise, et la solidarité que l'Union devrait incarner mise à mal lorsque l'on observe la situation des Etats baltes ou de la Hongrie, pour ne citer que ces exemples.
Le manque de leadership de M. Barroso dans une situation où seule la Commission est en capacité de porter la solidarité et la valeur ajoutée de l'action collective le disqualifie de la course à la présidence de cette institution.
Elu sur la base de Nice, il sera un président faible. Il le reconnaît lui-même : "Le traité de Lisbonne qui, je l'espère, sera bientôt ratifié, nous fournira la capacité institutionnelle nécessaire pour agir." Et pour être élu avant le référendum en Irlande du 2 octobre, il avoue ne pas pouvoir exposer la réalité de son projet. En réalité, le "partenariat spécial" que M. Barroso propose au Parlement européen ressemble plus à un hold-up institutionnel où le candidat du Conseil cherche à imposer son calendrier et les conditions contractuelles de sa reconduite.
La question n'est pas de savoir si c'est l'orientation politique ou l'homme qui est en cause, dans le cas de M. Barroso c'est la combinaison des deux qui conduit à un résultat inadapté. Avec ce profil, ce programme et ce bilan, M. Barroso, mal élu sur la base d'un traité dépassé, sera encore davantage l'otage des Etats membres alors que, pour tracer la route, résister aux égoïsmes et aux frilosités nationaux, nous avons besoin d'une personne forte à la tête de la Commission. Le message que nous devons envoyer aux chefs d'Etat et de gouvernement est clair : ils doivent trouver un autre candidat en écoutant le Parlement européen.