Article de Marie-Noëlle Bertrand dans l'Humanité du 6 février 2006, sur la politique du candidat Sarkozy en matière d'éducation.
Le candidat de l’UMP s’attaque au décret Robien. Une simple opposition de forme entre les deux ministres de la majorité.
Rappel des faits :
Vendredi matin, Nicolas Sarkozy s’attaquait ouvertement à Gilles de Robien, actuel ministre de l’Éducation, honnis par le corps enseignant. Par voie de presse, le candidat UMP a missionné Xavier Darcos, ex-ministre délégué à l’Enseignement scolaire, d’une étude sur le salaire et la carrière des enseignants en qualifiant d’ « injuste » le fait de les faire travailler plus sans contrepartie financière.
Directement visé :
le décret Robien qui supprime les temps de décharge de cours et mettait un prof sur deux en grève le 18 décembre dernier.
Le soir, Nicolas Sarkozy remettait le couvert.
« Ce sont les éducateurs plus que les conquérants qui ont fait la France et la République », expliquait le ministre candidat lors d’une rencontre publique à Maisons-Alfort, affirmant dans la foulée que le problème n’est pas « technique » mais politique. Et taclant, là encore, un Gilles de Robien, qui fustige les méthode pédagogiques des enseignants.
Rupture à droite ?
Non, quand les deux ministres parlent en des termes strictement identiques d’une école « en faillite », victime de 68 et du « pédagogisme » et que le programme du candidat complète l’action du ministre de l’Éducation.
Mieux avant :
mensonges ou vérité ?
Le ministre de l’Intérieur assène une vérité : l’école échoue dans son ambition de faire réussir tous les élèves et d’être un ascenseur social.
Mais il dit aussi beaucoup de mensonges. D’abord, en vantant l’école de Jules Ferry dont la vocation aurait été d’aider chacun à « échapper à la fatalité de sa condition. » Or l’enseignement, à l’époque, n’avait pas pour ambition d’être un outil de démocratisation, mais une école de citoyens patriotes. L’instruction civique et morale arrivait en premier dans le code de l’éducation, devant le fameux « lire, écrire, compter » et la division sociale y était non seulement un fait, mais une revendication. Mensonge, aussi, lorsqu’il prétend que la majorité des élèves quittaient le système en sachant lire : plus de la moitié ne décrochaient par leur certificat d’études. En invoquant, enfin, la fameuse « baisse du niveau », il oublie qu’il y a seulement 25 ans, autrement dit quand les enfants nés autour de 1970 arrivaient au collège, 30 % des élèves pouvaient espérer décrocher leur bac. Ils sont aujourd’hui plus de 62 %.
Qu’importe : cela lui permet de remettre en cause l’objectif de 80 % d’une classe d’âge au niveau bac. Une ambition coûteuse, pour un État qui ne jure que par la réduction des dépenses publiques. Et au patronat, quand elle induit une hausse des qualifications et mord sur la réserve de travailleurs sous-qualifiés qu’assure, quant à elle, la mise en apprentissage dès quatorze ans instaurée.
Que propose Nicolas Sarkozy ?
Il y a donc le discours, qui fantasme le passé pour mieux diaboliser le présent - « l’école est en faillite », assène Nicolas Sarkozy. Et les actes. Pierre angulaire de la politique de Nicolas Sarkozy : l’autonomie des établissements. En résumé, il s’agit de laisser aux chefs d’établissement la liberté de gérer leur budget, de décider de la carte des enseignements ou encore du recrutement du personnel. Le candidat de l’UMP la dit nécessaire à l’adaptation de chaque établissement « au contexte dans lequel il se trouve. » Le ministre plaide également pour la liberté pédagogique des enseignants, la suppression de la carte scolaire, l’orientation à toutes les étapes de la scolarité ou encore la modulation des moyens en fonction des besoins. Il défend, enfin, la liberté pour les enseignants de travailler plus pour gagner plus, notamment en assurant les études du soir ou le soutien scolaire.
Quels risques pour l’école ?
Autonomie : ce n’est pas un hasard si Nicolas Sarkozy en fait, depuis un an, son principal axe de bataille. Beaucoup de syndicats y dénoncent un moyen de restreindre les dépenses et de faire pression sur le personnel. De mettre en concurrence, surtout, les établissements entre eux : à chacun la responsabilité de développer un projet efficace. Chaque projet sera soumis à évaluation, - « c’est le corollaire de la liberté pédagogique et de l’autonomie », assure ainsi Nicolas Sarkozy. Et de chaque évaluation dépendra le financement accordé à un établissement : « La modulation des moyens se fera en fonction des handicaps des élèves et des projets d’établissement. »
C’est également dans ce cadre que Nicolas Sarkozy propose de supprimer la carte scolaire, « pour laisser le choix aux familles ». Où la boucle est bouclée : contraints, pour avoir de l’argent, d’avoir les meilleurs résultats, les établissements seront poussés à accueillir les meilleurs élèves, lesquels ne viendront vers eux que s’ils affichent les meilleurs résultats. Qui, on le sait, ne s’obtiennent pas sans moyens. Ce que Nicolas Sarkozy nomme « la culture du résultat » et de « l’égalité des chances. »