Tribune publiée le 20 février 2007 dans Libe.fr , par Vincent Drezet, secrétaire national du Syndicat National Unifié des Impôts (SNUI).
Deux problématiques structurant le débat fiscal restent étrangement discrètes à quelques semaines d'échéances électorales majeures : quels sont le niveau et la structure des ressources publiques ? Au fond, c'est bien sûr ces deux questions essentielles que devrait porter un véritable débat. Celui-ci est certes lancé, mais il semble se chercher encore, entre idées fausses et polémiques électorales. Pour s'en convaincre, il suffit de voir le temps médiatique consacré à l'impôt de solidarité sur la fortune, inversement proportionnel à son poids dans les recettes fiscales. Quelques vérités fiscales méritent donc d'être rappelées pour rétablir les termes du débat fiscal.
L'impôt n'est jamais neutre. Il procède de choix de société dans la répartition des richesses et le financement de l'action publique. Ainsi, un impôt progressif pourra contribuer à réduire les inégalités, un objectif qu'un impôt proportionnel ne peut s'assigner puisqu'il ne privilégie que le seul rendement financier. Un système fiscal équilibré, c'est-à-dire comportant des impôts (sur les revenus, les bénéfices, le patrimoine et la consommation) progressifs et, dans une moindre mesure, proportionnels, n'est donc pas simplement logique ni même «rentable», il est en outre favorable à la cohésion sociale.
L'impôt n'est pas antiéconomique. Il finance des facteurs publics indispensables à l'activité économique comme l'éducation, la santé, les infrastructures publiques... De plus, par la redistribution, il permet de soutenir la consommation, principal levier de la croissance.
L'impôt n'est pas complexe du fait de sa progressivité (les impôts sur le revenu et de solidarité sur la fortune sont progressifs) mais à cause des nombreuses niches fiscales dont le coût budgétaire annuel avoisine, tous impôts confondus, les 50 milliards d'euros.
L'impôt est victime de la concurrence fiscale, mais celle-ci revêt plusieurs formes. Elle est tout à la fois voulue, psychologique et subie. Elle est voulue car on ne constate aucune réelle volonté d'harmoniser la fiscalité au sein de l'Union européenne, et ce en dépit des travaux existants dans le domaine. Elle est psychologique et, pour une large part, ressentie, car elle s'appuie sur la comparaison de taux nominaux qui ne prennent pas en compte la diversité des règles d'assiette, de sorte qu'elles n'enseignent rien en termes de taux réels d'imposition. Or les mesures les plus précises montrent que, en Europe, la France dispose de l'impôt sur le revenu le plus faible et que l'imposition effective des bénéfices s'y situe dans la moyenne. Elle est enfin réelle du fait de l'absence d'harmonisation fiscale, ce qui conduit au résultat paradoxal suivant : en abaissant simultanément l'imposition des bases mobiles (entreprises, investisseurs), aucun Etat n'en retire un réel avantage comparatif mais tous accroissent le déséquilibre de leurs systèmes fiscaux au détriment des bases immobiles (les ménages, mais aussi l'essentiel des commerçants). Autant donc se diriger vers la voie de l'harmonisation...
Baisser le taux de prélèvements obligatoires n'a aucune justification en soi. Cela conduit à augmenter la dette ou à faire reculer les services publics. Car invoquer la seule réforme de l'Etat pour, tout à la fois, prétendument réduire les dépenses publiques tout en offrant le même niveau de services publics, n'est tout simplement pas tenable. S'il y a accord général pour que l'argent public soit bien géré, il reste que les missions publiques doivent être financées et que, pour ce faire, l'impôt est nécessaire. Le discours du «moins d'impôt» masque la volonté de réduire la voilure de la sphère publique et d'accélérer les privatisations. Il nie également la fonction de l'impôt dans sa fonction de réduction des inégalités. En réalité, il n'y a aucun lien entre activité économique et niveau de prélèvements obligatoires : les différences observées entre les pays ne font que révéler des différences dans les systèmes de protection sociale, certains étant plus solidaires que d'autres...
Sans impôt, combien de ménages pourraient financer sur leurs propres deniers la scolarité de leurs enfants (selon l'OCDE, le «coût» annuel d'un collégien est de plus de 7 400 euros), leur santé... ? Sans impôts, point de société. Et sans impôt juste, point de justice sociale. Telles pourraient être les deux principales vérités fiscales qu'un véritable débat démocratique devrait porter.