par Elie Arié, cardiologue, enseignant d'économie de la santé au CNAM, ancien responsable Santé du Mouvement républicain et citoyen (Publié dans Libé.fr du 22 février 2007)
Après l'invocation des mânes de Jaurès et de Blum, en attendant, si cela ne suffisait pas, celles de Trotski et de Kim-Il-Sung, la dernière mode, à l'UMP, consiste à minimiser les différences entre son programme et celui de Ségolène Royal, sans aller toutefois jusqu'à en tirer la conséquence logique, qui consisterait à appeler à voter pour elle. Voyons ce qu'il en est dans un domaine qui intéresse au premier chef les Français, celui de la santé, insuffisamment évoqué dans cette campagne pour 80 % d'entre eux («le Monde» du 26.1.07): elle fait l'objet de 11 des 100 propositions de Ségolène Royal , et d'un mutisme total de Xavier Bertrand, porte-parole (si l'on peut dire) de Nicolas Sarkozy, sans doute parce qu'il est ministre de la Santé. Une seule déclaration de Nicolas Sarkozy: « Responsabiliser financièrement les assurés», en créant une franchise de plus, non remboursable par les assurances complémentaires, sur une consommation qui, pour l'essentiel, est subie: on ne choisit pas d'être malade. Or ce projet est à la fois anticonstitutionnel et incompatible, par l'interdiction du remboursement de cette franchise par les organismes complémentaire, avec le traité de l'Union européenne sur la liberté d'assurance que l'ancien assureur Xavier Bertrand semble ignorer; mais que cela ne mette surtout pas un frein à la campagne médiatique sur l'« incompétence » présumée de Ségolène Royal. Mais surtout, cette unique proposition relève bien d'un choix de société dans le droit fil de l'action menée depuis cinq ans, radicalement opposé au nôtre. Les gouvernements de droite, depuis cinq ans, n'ont cessé de déréguler la prise en charge des soins courants. Voici les problèmes essentiels de l'assurance-maladie française auxquels la gauche devrait s'atteler:
1-son financement, assuré à l'origine par les seuls revenus du travail, est devenu déséquilibré à partir du moment où les revenus du capital les ont rejoints ou dépassés; la CSG avait pour objectif de pallier cette injustice, mais elle ne finance aujourd'hui l'assurace-maladie qu'à 40%; il convient de basculer la totalité des cotisations sociales sur la CSG, et de remplacer les cotisations patronales par une taxe sur la valeur ajoutée, de façon à ne pas pénaliser les entreprises à forte main-d'œuvre.
2-le déficit chronique de l'assurance-maladie de 10 milliards d'euros par an, plus élevé que la totalité du budget de l'enseignement supérieur, est inacceptable en termes de solidarité intergénérationnelle; l'Etat devra compenser intégralement les exonérations de charges consenties aux entreprises, sa dette annuelle envers la Sécurité sociale dépassant 6 milliards d'euros par an, car le système de soins n'est pas une vache à lait ayant vocation à financer des emplois dans d'autres secteurs; il appartiendra au Parlement de faire les choix du contenu d'une politique de santé lorsqu'il votera l'ONDAM , qui ne peut se limiter au vote symbolique et aveugle d'un chiffre prévisionnel de dépenses toujours dépassées sans sanctions autres que celle des assurés ;
3-les spécialistes médicaux, aux honoraires aujourd'hui pratiquement libres, devront choisir entre réintégrer le système conventionnel avec ses avantages et ses contraintes, ou en sortir : tout assuré social devra, comme c'était le cas autrefois et c'est toujours le cas dans tous les pays développés, être normalement remboursé des sommes réellement payées lorsqu'il consultera un spécialiste conventionné ;
4-les médecins généralistes joueront réellement leur rôle tant de fois promis de « pivot du système de soins », par le rétablissement du système de médecin référent supprimé par la réforme Douste-Blazy, qui alliait évaluation de la qualité des soins, obligation d'une formation médicale continue, et forfaitisation de la part de leurs revenus correspondant à leur activité de prévention, aujourd'hui inexistante car incompatible avec le paiement à l'acte;
5-la démographie médicale, souffre non pas de pénurie, mais d'une répartition inégalitaire sur le territoire (ainsi que d'une ventilation par spécialités établie en fonction des souhaits des étudiants, et non des besoins de la population); les incitations financières à l'installation étant fatalement vouées à l'échec, l'assurance-maladie pratiquera, comme dans d'autres pays européens, le conventionnement sélectif en fonction des besoins géographiques, et facilitera la mise en place de regroupements rendant les conditions d'exercice plus attractives dans les zones rurales;
6-la restructuration du réseau hospitalier le plus dense du monde sera poursuivie, avec le même objectif de pallier les inégalités géographiques et d'assurer à chaque établissement la qualité et la sécurité des soins; si le principe de budgétisation de chaque hôpital en fonction de son activité réelle ne sera pas remis en cause, la montée en charge de la tarification à l'activité ne se poursuivra que lorsqu'un système efficace pour empêcher l'exclusion des malades non rentables aura été mis en place ;
7-la politique du médicament s'attachera prioritairement à rendre la formation médicale post-universitaire indépendante de sa prise en main complète, grâce à Xavier Bertrand, par l'industrie pharmaceutique, et de limiter le marketing de plus en plus pesant de cette dernière, tant auprès des médecins que des patients; lorsqu'un médicament identique est commercialisé par plusieurs laboratoires, le remboursement se fera sur la base du prix de celui qui est vendu le moins cher ; de même, les hôpitaux retrouveront leur droit de faire jouer la concurrence par les prix pour leurs achats de médicaments identiques, droit qui leur a été retiré par le très « libéral » Jean-François Mattéi.
C'est très volontiers que nous laissons à Nicolas Sarkozy et à Xavier Bertrand la possibilité de prendre connaissance de ces propositions, en leur précisant qu'elles ne sont protégées par aucun brevet, et qu'ils sont parfaitement libres de les « génériquer ». (Version raccourcie).