Sauver le Darfour ! Il ne suffit pas de déplorer les génocides au passé : Arménie, Shoah, Cambodge, Rwanda. Il faut les enrayer quand ils se déroulent au présent, sous nos yeux ! Témoignages, ici, sur ce qui se passe au Soudan par Laurent Fabius, Jacky Mamou (ancien président de Médecins du Monde) et Bernard-Henri Lévy. Voir aussi la vidéo (colonne de droite).
Laurent Fabius : "Au Dar Sila, j’ai vu l’enfer"
Au Darfour, dans le quasi silence, c’est un crime quotidien contre l’humanité qui s’accomplit. Le Président soudanais Al Bechir, que J. Chirac vient d’accueillir à Cannes, est un président massacreur : près de 300 000 morts en 4 ans et 3 millions de personnes "déplacées" comme on dit. Au Dar Sila, dans la région frontière entre le Darfour et le Tchad, j’ai vu l’enfer sur terre : des milliers de réfugiés soudanais par 40 ° de chaleur, sans eau, sans sécurité, sans espoir ; des milliers de tchadiens "déplacés", démunis, parqués dans des camps. Leurs villages ont été brûlés, en général par les "janjaouids", ces terribles colonnes arabes de Bechir. Les personnels humanitaires déploient une activité admirable, mais ils manquent de moyens. La saison des pluies sera là dans 3 mois, il sera alors impossible de circuler.
La communauté internationale s’est montrée jusqu’ici courtoisement impuissante. Les Chinois, acheteurs du pétrole soudanais, veillent à ce qu’on ménage les autorités locales. Les Américains ne veulent pas ajouter un terrain de conflit à leur passif en terre musulmane. Les Africains ne surmontent pas leurs divisions. Et les Européens discutent.
Il y a urgence absolue d’agir. Nous ne pouvons pas dire que nous ne savons pas. J’attends de la France qu’elle sonne le tocsin./.
Jacky Mamou, président d'Urgence Darfour : "L’ombre du génocide"
"L’aide humanitaire est en chute libre au Darfour. Sur 4,5 millions de personnes affectées par le conflit dans la région, une grande partie est hors d’atteinte de tout secours. Khartoum et ses milices, harcèlent les organismes humanitaires et poussent à leur retrait. Omar el Bechir, le président soudanais, n’avait-il pas déclaré que «les OHG étaient les ennemis du Soudan", renforçant ainsi les soupçons de ceux qui évoquent une tactique de harcèlement des humanitaires, au service d’une stratégie plus globale : achever, par la faim et l’épuisement, les rescapés des tueries, tous issus des populations «africaines noires".
Il n’y a ni massacres, ni camps de déplacés des populations "arabes" et les 400 000 morts "noirs" ne résultent pas d’affrontements ethniques. Non ! L’état soudanais mène une guerre concertée contre les civils, fours, massalits, zaghawas…Voilà pourquoi plane sur le Darfour l’ombre d’un génocide.
Bien sur le monde connaît maints autres conflits , mais nulle part ailleurs qu’au Soudan, n’existe un régime totalitaire, soutenu par la Chine, la Russie et la Ligue arabe, qui assassine sa population, à une si large échelle et en toute impunité.
La communauté internationale, notamment l’Europe, avait cru se débarrasser du problème du Darfour sans mécontenter le Soudan, en finançant l’humanitaire et les troupes de l’Union Africaine. L’échec est total. L’ONU est paralysée. L’apathie des démocraties conduit à un nouveau Rwanda. Encore une fois les victimes restent désespérément seules face à leurs bourreaux…/.
Bernard-Henri Levy, philosophe : "J’ai vu les vies brisées"
J’étais sur place, la semaine dernière, dans la zone de Amarai, à 400 kilomètres de la frontière du Tchad, que j’ai passée avec un groupe de combattants de la SLA. Du coup, j’ai vu les choses. J’ai vu la dévastation. Les villages brûlés. Les vies brisées. Nous sommes restés les bras croisés au moment du Rwanda. Pouvons-nous, décemment, faire de même avec ce nouveau carnage ? Nous n’avons, cette fois, même plus l’excuse du "génocide éclair". Car cela fait quatre ans que cette horreur dure. Quatre ans. Et les Nations Unies ont en mains tous les moyens de faire plier Khartoum. Le problème c’est la Chine, bien sûr. Car elle oppose son veto à toute résolution anti-soudanaise au Conseil de Sécurité. Mais pourquoi ne pas faire pression sur les Chinois ? Pourquoi ne pas les menacer, par exemple, de boycotter les J.O de 2008 auxquels ils semblent tant tenir ?/.