Jean-Claude Gayssot, élu communiste de Béziers, a été ministre des Transports du gouvernement Jospin (1997-2002). Cette tribune est parue dans Les Echos.fr du 21 mars 07.
Lorsqu'il s'agissait de se servir de la performance d'Airbus, qui avait réussi à supplanter Boeing pour tenter de convaincre notre peuple à voter « oui » lors du référendum sur la Constitution européenne, il y avait beaucoup de monde à droite et à gauche sur les estrades électorales. En réalité, contrairement à Galileo, qui lui est un pur projet européen, Airbus pas plus qu'Ariane ne sont des entreprises européennes.
Le silence de l'Europe, laissant les entreprises et les Etats coproducteurs se débrouiller dans la crise grave que connaissent EADS et Airbus, est significatif sur l'incapacité à s'impliquer pour la défense et la promotion de l'emploi, de nos technologies, de nos produits. Ce sont les critères sur lesquels elle fonctionne, ceux de la « concurrence non faussée » et de la dépendance de la Banque centrale européenne à l'exclusive loi du marché qui expliquent à mes yeux cette dramatique carence.
La question qui se pose aujourd'hui est la suivante : peut-on sortir de cette crise et maintenir notre place au premier plan mondial de la construction aéronautique ? Et peut-on le faire en sortant des schémas classiques du libéralisme qui consistent à dégraisser, à réduire les effectifs, à délocaliser, à externaliser ? Mais aussi à faire porter sur la sous-traitance les aléas des carnets de commandes dans un secteur réputé pour ces cycles réguliers de croissance et de déclin : cycles qui limitent les perspectives de dividendes colossaux durables qu'attendent les « fonds de pension » et « d'investissement ».
La création d'EADS faisait suite à l'engagement pris par Jacques Chirac, Lionel Jospin, Tony Blair et Gerhard Schröder, en 1998, de regrouper leurs industries aéronautiques. La fusion Aerospatiale-Matra pour la France, qui maintenait une dimension publique forte, devait soi-disant nous permettre grâce à nos compétences (civiles et militaires) de parler d'égal à égal avec les Allemands.
Ce fut l'objet de négociations serrées face aux exigences allemandes, non seulement pour défendre leur site, mais surtout pour éliminer toute présence de capital public et du rôle de l'Etat qu'il entraîne. Le maintien du siège social d'Airbus à Toulouse a fait l'objet d'un terrible bras de fer.
Avec la décision de compléter toute la gamme Airbus, réalisation du petit-porteur (107 places l'A318) et du gros-porteur (de 600 à 800 places : l'A380), Airbus pouvait rivaliser durablement avec Boeing. De plus, l'avion militaire, l'Airbus 400M, était décidé. Bref, les perspectives étaient positives en termes de commandes, donc de production et d'emplois.
Qu'il y ait eu depuis des erreurs dans le management de la production, et dans les choix hasardeux, je pense à la première version de l'A350, c'est certain, mais s'en tenir là c'est ne voir qu'un petit côté des choses.
En fait et contrairement à la position de Jean-Luc Lagardère, son successeur Arnaud Lagardère n'a jamais fait montre d'un enthousiasme débordant pour la construction aéronautique, au point qu'il a même vendu la moitié de ses parts. Idem pour Daimler Chrysler, qui préfère rentabiliser ses capitaux dans l'automobile que dans l'aéronautique. C'est le capital public : les Länder en Allemagne et la Caisse des Dépôts en France, qui ont amorti le choc.
Aujourd'hui, que faire ? Je pense que, dans le capital, il faut renforcer la part publique des Etats (avec les régions éventuellement) et de l'Europe.
La Banque européenne d'investissement devrait racheter les parts de Lagardère et Daimler. Pour le coup, EADS et Airbus deviendraient de véritables entreprises européennes. Mais cela implique aussi une remise en cause de l'actuel fonctionnement de la Banque centrale européenne, fonctionnement qui joue aujourd'hui Boeing contre Airbus. Le monde à l'envers ! Je crois enfin que les salariés, par le biais du comité d'entreprise, devraient au niveau européen disposer des pouvoirs - concernant les choix stratégiques - identiques à ceux des propriétaires, qu'ils soient publics ou privés. Pour préserver l'emploi, pour développer l'activité de la construction aéronautique, l'heure est à la négociation et à la mise en oeuvre de propositions transformatrices. Vive Airbus !