Bernadette Baron, inspectrice du travail et membre du bureau du SNUTEF-FSU, raconte les contrôles sur les exploitations agricoles.
Comment se déroulent les contrôles de l’inspection du travail dans l’agriculture ?
Bernadette Baron. Comme dans les petites entreprises d’autres secteurs d’activité, avec cette spécificité qu’on peut avoir à contrôler beaucoup de personnes en même temps sur une exploitation, sans disposer des effectifs suffisants. En général, les interventions se passent plutôt bien. Les agressions sont faibles en nombre, mais elles sont choquantes et restent très présentes dans nos esprits. C’est pour les contrôles de main-d’oeuvre, destinés à détecter du travail illégal ou dissimulé, comme à Saussignac, que nous rencontrons le plus d’obstacles. Ils déclenchent plus d’agressivité car ils concernent des exploitations plus tendues économiquement, où l’exploitant s’identifie complètement à son entreprise. De plus, on intervient pendant la récolte, la période la plus sensible de l’année, et on interrompt le travail. Le contrôle est vécu comme une agression alors qu’il devrait être un épisode normal de la vie de l’entreprise. C’est d’autant plus vrai que les agriculteurs ne sont pas suffisamment habitués à nous voir puisque nos effectifs ne nous permettent pas des contrôles réguliers.
Le climat entre contrôleurs et agriculteurs s’est-il dégradé au fil des ans ?
Il y a toujours eu des agressions. Je me souviens dans les années 1980 du cas d’un collègue qui s’était fait tirer dans les jambes, d’un autre qui s’était retrouvé au milieu de 300 viticulteurs organisant un simulacre de pendaison. Ce qui a changé, c’est que depuis la PAC, les exploitants font aussi l’objet de contrôles économiques, qui ont été renforcés ces dernières années et qui peuvent remettre en cause les aides perçues. Cela a tendu le climat. Un syndicat virulent comme la coordination rurale a fait de l’opposition au contrôle son fonds de commerce.
Quelle réaction a provoqué chez les inspecteurs le drame de Saussignac ?
Avec Saussignac, on s’est tous dit « ça pourrait être moi », on a pris conscience des risques réels qu’on prenait, qu’on n’avait aucune formation aux situations de contrôle, et qu’on devait s’organiser, exiger une protection collective. Avant, les agressions faisaient partie de notre métier. Depuis le drame, les collègues ont pris conscience que cela pouvait aller jusqu’à la mort, même si tous ne l’expriment pas. Deux ans et demi après, la peur s’est estompée mais il reste une - inquiétude de fond. D’autant plus que des agriculteurs ont menacé des contrôleurs en évoquant Saussignac. Cela crée un précédent, qui a libéré la violence.
Qu’attendez-vous du ministère de l’Agriculture ?
Un soutien public de nos missions de contrôle. Quand un policier est abattu, le lendemain le quartier est bouclé, Sarkozy et Alliot-Marie sont sur les lieux. Pour l’inspection du travail, c’est très différent. Après le meurtre des collègues, le ministre de l’Agriculture (Hervé Gaymard - NDLR) est venu aux obsèques, mais il n’a pas - ensuite réaffirmé fermement la légitimité de notre métier en s’adressant au milieu agricole. Il est avant tout le ministre des agriculteurs, pas celui de l’inspection du travail ! Or, cette relégitimation est la seule chose qui nous protègerait, qui ferait frein aux réactions individuelles. Par ailleurs, réduire les effectifs de l’inspection est aussi une manière concrète de limiter les contrôles et de les délégitimer. À l’Agriculture, il n’y a eu aucun recrutement d’agents de contrôle en 2006, trois seulement sont prévus pour 2009, alors qu’il y a de nombreux départs en retraite. Nos effectifs sont en baisse.
L'Humanité (5 mars 2007)