Par Guillaume Bachelay, membre du Conseil national du PS : Si on en croit les sondages, l'étiage électoral de la gauche serait au plus bas. Ce qui n'est à ce stade qu'une prédiction –faut-il rappeler que les Français n'ont pas encore voté ?– a un double impact. Sur nombre d'électeurs, la nouvelle fait l'effet d'un uppercut.
Difficile d'entraîner quand, chaque jour, une enquête d'opinion prédit 36 % et des poussières d'intentions de vote à la gauche et à l'extrême gauche. Surtout quand l'actualité, d'Airbus aux négociations de l'OMC, exprime un besoin de résistance au tout-financier. Au plan idéologique, l'heure serait à la droitisation de la société française, sur fond de rapport de forces plus favorable que jamais au capitalisme. Les socialistes et leurs alliés, en retard d'une époque, ne seraient plus que des « anti » : antilibéraux, antiréformes, bref antiréel. En face, la droite « décomplexée » pourrait célébrer l'adaptation à la mondialisation et les intérêts de l'individu.
Ce discours en vogue, d'autant plus imposant qu'un régiment de sociaux-démocrates et une légion de bobos en assurent la promotion, n'est qu'un faux-semblant. Plusieurs faits laissent penser, au contraire, que c'est la gauche qui a la main dans cette campagne présidentielle.
1) Les sondages expriment une demande durable de gauche. Depuis 2004, une majorité d'interviewés souhaitent que le prochain chef de l'État soit issu de ses rangs (BVA pour L'Express). Depuis un an, la confiance à l'égard du PS est supérieure à celle dont jouit l'UMP (TNS-Sofres pour Le Figaro magazine). Surtout, les thèmes jugés prioritaires par les Français sont traditionnellement favorables au camp progressiste : lutte contre le chômage et la pauvreté, éducation, logement (CSA pour L'Humanité en janvier), auxquels s'ajoutent le pouvoir d'achat et la protection sociale (TNS-Sofres pour Le Figaro en mars). Alors que l'insécurité et les faits divers écrasaient le débat public en 2002, ce sont les enjeux économiques et sociaux qui mobilisent les électeurs de 2007. En témoigne le fait que deux salariés sur trois se sentent menacés par le chômage et qu'un sur deux craint de se retrouver sans emploi dans les cinq prochaines années (Ipsos pour Genworth en juin dernier).
2) La droite et l'extrême droite font campagne... à gauche. Au point que leurs électeurs se pincent pour y croire ! Dans ses meetings, jusqu'à ces derniers jours, Sarkozy citait Jaurès et fustigeait les patrons voyous. Jadis promoteur de l'enseignement privé, Bayrou vante désormais l'école publique. Sans oublier Le Pen qui a lancé sa campagne à Valmy, sous les auspices de la Révolution française !
Pourquoi ces candidats noient-ils leur identité propre (libérale-autoritaire pour l'UMP, régionale-européiste pour l'UDF, nationale-agressive pour le FN) sous des figures et des mots volés au patrimoine de leurs adversaires, sinon parce qu'ils pensent que le pays et les voix penchent à gauche ?
3) Depuis 2002, les mobilisations sociales ont traduit l'aspiration à l'égalité effective des chances et des droits : rejet du plan Fillon sur les retraites (2003), mouvement de Guéret pour les services publics locaux (2004), explosion dans les banlieues (2005), combat de la jeunesse contre le CPE (2006). Dans le même temps, les scrutins nationaux ont été favorables à la gauche. Elle dirige la quasi-totalité des régions et préside un département sur deux. Elle a remporté les élections au Parlement européen, progressé aux sénatoriales, assuré la victoire du non au traité constitutionnel.
4) Enfin, la double décennie « libérale-concurrentielle » engagée avec Reagan et Thatcher s'achève, contestée de toutes parts. L'Amérique latine bascule à gauche, qu'elle ait le visage de Lula ou de Chavez. En Europe, les syndicats de salariés se lèvent contre les directives les plus régressives. Aux États-Unis, un débat sur les protections antidumping à l'égard de la Chine bat son plein. Un nouveau cycle mondial s'annonce, fondé sur la régulation démocratique et interétatique de la sphère marchande. Alors, d'où vient la faiblesse apparente de la gauche française dans les sondages ? De l'écart entre la demande populaire de gauche et l'offre politique à gauche. Les candidats non socialistes ne décollent pas, car ils portent le mistigri de la division du 21 avril 2002. Quant au PS, il doit être plus fier de ses valeurs, plus sûr de ses atouts et ne doit pas céder à l'air du temps. À quoi bon s'abandonner à la rengaine libérale-autoritaire à l'heure où les Français la rejettent et pourquoi se tourner vers le centre alors que, dans les idées comme dans les collectivités, UMP et UDF sont des formations siamoises ? Il faut, à l'inverse, porter un projet alternatif au libéralisme combinant solidarité et responsabilité, revendiquer la République laïque pour socle, avoir la réorientation de l'Europe pour dessein, la puissance publique pour levier, la démocratie pour méthode, la gauche rassemblée pour famille. Suivre ce chemin, c'est assurer mieux qu'une victoire électorale : c'est permettre le changement.
Paru dans Le Figaro 21 mars 2007