L’élévation du niveau de vie est aussi indispensable, pour les jeunes des quartiers populaires, qu'une éducation qui apporte d'autres valeurs et repères que celles de la consommation, estime Thomas Sauvadet, chercheur associé au CESAMES (Université Paris V)
Le terme « banlieues » nous renvoie à l’un des problèmes sociaux les plus urgents, convoqué sous le feu des projecteurs lors de la vague d’émeutes d’octobre-novembre 2005. En - revanche il ne nous explique pas grand-chose, même si, implicitement, chacun sait de quelle banlieue il parle : celle des villes populaires et des cités HLM.
Pour faire des « banlieues » une grande cause nationale, il s’agit de ranger au second plan cette grille de lecture géographique qui donna naissance à la « politique de la ville ». De la même manière, toujours dans le but de hiérarchiser les urgences, il faut reléguer la grille de lecture « ethnique » ou « culturaliste » et toucher au coeur de la structure sociale : l’économie.
Premièrement, l’élévation du niveau de vie des familles populaires, et en particulier des - familles qui se rapprochent le plus de ce qui était appelé le « sous-prolétariat » (puis le « quart-monde » lorsque le vocabulaire marxiste perdit son influence), apparaît comme « la » grande cause. Les garçons qui traînent dans les rues des cités dès leur plus jeune âge, ceux qui posent problème et de ce fait interpellent l’opinion et l’autorité publiques, vivent cette condition sociale.
Afin d’éviter la rue, ces garçons doivent avoir la possibilité de s’assumer financièrement, et éventuellement d’assurer la charge d’une - famille, dès leur sortie du système scolaire : ce qui veut dire la possibilité de louer un logement et donc de bénéficier de revenus réguliers. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, et ceci correspond à la différence fondamentale entre les « loubards » d’hier et leurs homologues - actuels, « les jeunes de cité ». Le passage de la famille parentale à la famille conjugale (qui symbolise le passage de la jeunesse à l’âge adulte) a été retardé (jusqu’à 30-35 ans en ce qui concerne les « jeunes de cité » qui traînent dans les rues) et, en conséquence, la durée et la dureté du mode de vie « en bande et dans la rue » s’aggravent et provoquent des troubles sociaux.
À côté de cette pauvreté que l’on pourrait, de façon schématique, qualifier d’« absolue », il devient de plus en plus nécessaire d’introduire un questionnement au sujet de la pauvreté « relative ». La reconnaissance sociale, en particulier entre jeunes, ne doit pas être autant indexée sur le pouvoir d’achat. Les émeutiers de 2005 nourrissent des attentes consuméristes irréalistes qui les vouent aux frustrations et au ressentiment. Il s’agit donc de minimiser la croissance des écarts entre les plus riches et les plus pauvres ainsi que l’influence culturelle des marques et de la publicité. Parallèlement, il s’agit de combler un manque évident de spiritualité qui laisse un boulevard à l’approche - religieuse dogmatique (pentecôtistes, islamistes - au sens non terroriste du terme - etc.) que les livres d’histoire connaissent bien. Contre ce manque de spiritualité, l’école a évidemment un rôle à jouer, notamment à travers un enseignement adapté aux milieux populaires (histoire et sociologie des milieux populaires, du mouvement ouvrier, des colonisations et des émigrations-immigrations, des religions...) qui, entre autres choses, s’attacherait à ancrer ces jeunes dans leur histoire tout en fournissant des repères identitaires - indépendants du règne de la marchandise.
*Auteur de : Le Capital guerrier : Solidarité et concurrence entre jeunes de cité, sous l’égide de de F. de Singly, Armand Colin « Sociétales « ), Paris, 2006.
Jeunes dangereux, jeunes en danger : Comprendre les violences urbaines, Paris, Dilecta, 2006.