Pour "Priorité à gauche", le député européen PS note les infléchissements du discours de la droite sur l'Europe. « Il n'y a pas de plan B !» (ou, dans la langue libérale dominante, « there is no alternative ») : cette injonction, inventée voici 2 ans pour imposer aux citoyens européens un traité de l'ordre établi, est répétée depuis pour reprocher aux Français leur rejet du Traité. Mais, constate Henri Weber, le vent tourne : les candidats Sarkozy et Bayrou reprennent aujourd'hui bien des arguments de ceux qui veulent un autre chemin pour l'Europe.
Le débat sur la relance et la réorientation de l'Union européenne fait des progrès, à la faveur de l'élection présidentielle.
Progrès sur le diagnostic : Nicolas Sarkozy reconnaît que " ce n'est pas le Non néerlandais et français à la Constitution européenne qui est responsable de la crise de l'Europe, c'est la crise de l'Europe qui est responsable du rejet de la constitution". Laurent Fabius est en droit de demander des droits d'auteur. D'autant que le candidat UMP ajoute : "cette crise n'est pas conjoncturelle...elle vient de loin !". Suit une analyse fouillée des dimensions économique, sociale, politique, identitaire, de la crise de l'Union européenne, qui nous est familière.
Progrès sur la thérapeutique : François Bayrou comme Nicolas Sarkozy, admettent désormais que le nouveau Traité constitutionnel doit être "court, lisible, et compréhensible par tout le monde". L'un comme l'autre reconnaissent que "l'orientation et le contenu des politiques économiques européennes n'y ont pas leur place."
Haro sur la "troisième partie"...
Autrement dit, ils proposent un nouveau Traité constitutionnel européen, débarrassé de la pléthorique "Troisième partie" du Traité précédent et centré, comme nous le réclamions sur les valeurs, les grands objectifs et l'organisation des pouvoirs de l'Union européenne.
Attention, entourloupe...
Rendu méfiant à l'égard des référendums, Nicolas Sarkozy demande que ce "Traité simplifié", de nature institutionnelle soit ratifié par le Parlement, et non plus soumis au suffrage universel. Il a doublement tort : en changeant la procédure, il donnera à juste titre l'impression de vouloir faire entrer par la fenêtre ce qui a été sorti par la porte.
Et si le texte soumis au vote des Français est vraiment limité à l'organisation des pouvoirs et à l'affirmation des valeurs, il a toutes les chances d'être approuvé. 71% des Français se déclarent fiers d'être Européens dans un sondage récent (26.03.07). Mais 48% attendent de l'Union européenne une meilleure protection sociale.
Ce n'est pas contre l'Europe qu'une majorité de nos concitoyens ont voté le 29 mai 2005, c'est contre sa dérive libérale et sa fuite en avant territoriale.
Pour une Europe des résultats
Bien sûr, pour que le nouveau Traité soit approuvé par les électeurs, il faut améliorer le "contexte" : démontrer que l'Union européenne agit pour favoriser la croissance, l'emploi, le progrès social, la maîtrise des flux migratoires, et pas seulement pour défendre la monnaie et généraliser la concurrence "libre et non faussée". Là encore, les leaders de la droite reprennent –et on ne s'en plaindra pas !– nos propositions : Sarkozy vitupère contre la passivité de la Banque centrale européenne face à la surévaluation de l'euro par rapport au dollar, au yuan, au yen, qui aggrave nos difficultés industrielles. "Il est urgent que soit créé un véritable gouvernement économique de la zone euro", s'écrie-t-il, "et que soient rediscutés le statut et les objectifs de la BCE". On déplore qu'il ne s'en soit guère avisé quand il était le n° 2 des gouvernements de Jacques Chirac, mais on se réjouit qu'il en soit désormais convaincu.
On ne voit pas, toutefois, comment la mise en œuvre de politiques plus ambitieuses en Europe, –indépendance énergétique, recherche et innovation, transports et communications, soutien aux nouveaux entrants de l'Est et aux régions en difficulté à l'Ouest– pourraient s'accommoder d'un budget européen réduit à 1% et à la règle de l'unanimité dans la prise des décisions.
L'Europe des cercles fait des émules
Après la "constitution allégée" et les vertus du volontarisme politique, Bayrou et Sarkozy redécouvrent aussi l'idée de l'Europe des cercles, objet de leurs sarcasmes en 2004.
François Bayrou distingue ainsi une "Europe large, une Europe de l'échange, de la régulation juridique et de la démocratie" : l'Union européenne à 27, peut-être bientôt à 30. "Et une Europe plus dense, constituée au sein de la première par ceux qui ont plus d'exigence et plus d'ambition".
Sarkozy exige que les Etats qui souhaitent aller plus vite et plus loin dans l'intégration européenne puissent le faire. Son "premier cercle" à lui, regroupe les six Etats fondateurs, auxquels pourraient s'adjoindre l'Espagne et le Portugal...
Ces deux cercles –l'Europe unie et l' Europe élargie, disait Laurent Fabius en 2004– sont en réalité trois, car il faut leur ajouter le cercle extérieur des pays du pourtour méditerranéen, liés à l'Union européenne par des traités de coopération privilégiés : Turquie, Maghreb, et d'autres encore, Ukraine, ...
La stratégie d'une construction différenciée de l'Union européenne, par le recours aux "coopérations renforcées", autre élément du projet alternatif à l'actuel TCE, commence donc, elle aussi à s'imposer. Ségolène Royal ajoute à ce projet la négociation d'un protocole social et d'un protocole environnemental européens. Le Parti des socialistes européens vient de publier son programme social pour l'Europe. Le clivage gauche-droite s'affirme à l'échelle de l'Union comme dans chacun de ses Etats membres.
Décidément le coup de semonce français du 29 mai n'aura pas été inutile.
Le blog d'Henri Weber : http://www.henri-weber.fr/
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